La thérapie comme réducteur de complexité. Revue Hypnose & Thérapies Brèves sur le Psychotraumatisme.
Travailler sur la sécurité de la relation.
Le texte suivant est en partie composé d’extraits d’un chapitre du « Grand livre du trauma complexe » (Dunod, 2023). Il présente le cas d’une femme au vécu difficile qui a dû fuir un père maltraitant...
Trauma à la suite d’une agression sexuelle ?
Mlle M., 20 ans, au cours d’un week-end « d’intégration » trop alcoolisé, se fait agresser par un garçon et violer. Elle en parle tout de suite à ses amis qui appellent les parents. Les parents sont soutenants et adaptés. Ils vont porter plainte et sont reçus rapidement par le directeur de l’école qui « prend la mesure » de l’événement. La mère, soucieuse pour sa fille, appelle pour un rendez-vous. Il existe quelques reviviscences. Une séance d’EMDR suffit à remobiliser ses ressources afin qu’elle traverse cette épreuve pour poursuivre sa vie.
Trauma suite à une agression sexuelle ?
Mlle K., 23 ans, au cours d’une soirée « amicale » trop alcoolisée, se fait agresser par un garçon et violer. Elle en parle tout de suite à ses amis qui lui reprochent d’avoir trop bu. Elle rentre chez elle en larmes et sa mère lui dit : « vu la façon dont tu t’habilles ce n’est pas étonnant ». Je la rencontre trois ans plus tard à la suite de sa troisième IMV. A la suite des travaux sur l’attachement (Bowlby, 1969), il apparaît que l’Homme est avant tout un être relationnel. Ainsi, la difficulté majeure à laquelle l’être humain pourra être confronté sera l’abandon et son « antidote » sera la relation. Mais pour que cet espace relationnel soit confortable, l’être humain doit pouvoir y éprouver de la liberté, une capacité à faire des choix, à accepter, à refuser... Sinon il tombe dans une deuxième problématique : la maltraitance (Betbèze, 2017) ; un espace relationnel où je ne peux pas exprimer ma liberté.
Le psychotraumatisme vient attaquer ces deux dimensions : la relation et la liberté dans la relation. Et la difficulté dans une prise en charge « complexe » nous semble avant tout liée au vécu abandonnique, au vécu de « défaillance » répété de ceux qui auraient dû protéger, plus que les actes maltraitants.
En effet, cette impossibilité répétée de se « reposer » dans une relation face à une détresse vécue comme vitale empêchera alors toute contextualisation et transformation de l’événement en une épreuve. Ainsi je ne suis plus victime d’un acte maltraitant dans un contexte donné, mais les autres (les hommes...), mon corps (les images, les sensations...), le monde (le système juridique, de soin...) deviennent maltraitants. Mais derrière ce discours, ce qui pousse est le vécu abandonnique. L’autre m’abandonne (ma mère, mon père...), mon corps m’abandonne (dans des vécus de figement, de dissociation où c’est le corps qui semble prendre le contrôle), le monde m’abandonne (la justice, les services sociaux...). Ainsi au départ, il n’est pas facile dans un discours saturé par la plainte et la maltraitance de voir en creux cette solitude qui donne une sensation de vide et est souvent appelée angoisse de mort. C’est pourtant ce vécu qui amènera désespoir et perte de sens qui nous semble être le coeur de la chronicisation.
Ainsi Mlle K. pourra vite évoquer les actions maltraitantes des hommes et passer une vie à les décrire. Plus elle les évoque et plus elle construira ce monde de « tous des porcs » et plus nous essayerons de lui faire « prendre du recul » et plus elle tombera dans le vide. Car elle ne peut dans ce monde s’appuyer sur l’autre, son père, sa mère... Il apparaît donc primordial de travailler sur la sécurité dans la relation avant tout. Une relation est sécure quand elle est inconditionnelle, la solidité de la relation est ressentie comme inébranlable quelles que soient les actions des protagonistes. Ainsi, avec cette personne que l’on appellera tiers sécure, je peux dire des choses stupides ou intelligentes, je peux faire ou rester tranquille, parler ou me taire... Bref, expérimenter de la liberté sans craindre la rupture, bâtissant ainsi la confiance en soi. Cette relation à l’autre m’ouvre un monde sécure à l’intérieur, dans lequel j’ai des ressources pour faire face. J’ai pu expérimenter la possibilité de pouvoir m’appuyer sur une relation pour apprendre, pour traverser un coup dur qui est devenu une épreuve dont j’ai pu tirer des enseignements. Se rejoue ainsi la « base de sécurité » de l’attachement. « Base » dans tous les sens du terme car ce n’est qu’un socle indispensable. Pour que ce réapprentissage fasse sens il faut que relation et liberté soient circulaires et sources de joie pour tout le monde.
Ainsi, dans cette conversation hypnotique autour de l’apprentissage du vélo, ce patient sent les bras de son père le tenir (relation) puis le lâcher (liberté)... cette confiance dans ses capacités... dans un contexte où il est possible de faire ou de ne pas faire : « c’est OK si tu y arrives… sinon on verra plus tard… ». Il voit son père si heureux de le voir explorer : « vas voir le monde et nous pourrons partager cela ». Ce plaisir de contribuer à rendre l’autre plus libre qui en retour reviendra nourrir la relation (se sentir un bon père...) source de plus de liberté... La boucle vertueuse de l’attachement prend forme : plus je suis « attaché » plus je suis libre, plus je suis libre plus le lien est renforcé.
C’est souvent initialement sur le temps de la thérapie, qui n’est pas un temps en dehors de la vie, que se construit cette exception (De Shazer, 1996). Ainsi le thérapeute se réjouit de l’effet de cette conversation sur le corps du patient qui semble maintenant capable de mouvement découvrant des intentions. Et il pourra peut-être remercier le « patient » de lui faire se sentir un bon thérapeute, ce qui donne du sens à sa vie. Nous avons déjà deux exceptions à relier pour tisser une histoire vivante dans laquelle pourront venir se dissoudre les images problèmes. Mais parfois la relation est peu accessible, la personne ne décrit que vide, menace et envahissement. Même si la personne peut nommer des gens qui la soutiennent, ce soutien est conditionnel. C’est-à-dire que la personne se sent obligée de faire, de dire des choses pour que les relations tiennent : partir, rester, se plaindre, se taire, travailler, crier, se soumettre... Ainsi dans la « thérapie », il peut apparaître utile de ne pas avoir d’attente particulière sur la réussite du soin : une certaine indifférence au changement (Roustang, 2001). La personne a le droit de s’améliorer ou non, d’être un bon patient (qui s’améliore) ou non... peu importe ; la relation tient. Indifférence au changement qui n’est pas indifférence à la personne. C’est-à-dire que la relation est déjà en place et que l’intention du thérapeute, que les choses aillent vers une « direction meilleure », appelée souvent bienveillance, reste la base du soin. Mais cette intention ne peut pas être une injonction, au risque de retomber dans de la maltraitance ou le rejet si la personne ne répond pas aux attentes de changement.
Dans ce monde du psychotraumatisme, si nous proposons trop vite des actions, elles seront vécues comme maltraitantes : « j’ai déjà fait… c’est trop dur… vous ne me comprenez pas ». Si nous proposons de prendre du temps, d’observer, de lâcher... cela sera parfois entendu comme trop vide avec des réponses comme : « mais cela ne sert à rien… vous ne faites rien… comme les autres... ». Ainsi à droite, quand on propose, on maltraite ; à gauche, quand on ne propose pas, on abandonne. Pour bien clôturer ce double lien (Wittezaele & García-Rivera, 1992), qui émergera à chaque fois que la relation n’est pas en place, si nous demandons à la personne ce qu’elle désire, on entendra : « c’est vous le médecin, c’est à vous de savoir ». Ainsi, dans ce mode relationnel, des éléments comme la confiance, le respect sont souvent très lointains au départ, au mieux des concepts cognitifs désincarnés. Le thérapeute peut apparaître comme maltraitant de bien des façons pour la personne en situation de survie car elle est en difficulté pour percevoir les bonnes intentions de l’autre qui dans sa vision du monde n’a jusqu’ici été là que pour profiter d’elle ou la laisser tomber. La relation soignante pourra aussi être vue initialement comme ayant peu de valeur et il ne sera pas si facile de s’en servir comme base de sécurité. Si le soignant est là, c’est qu’il est payé pour et non parce qu’il a de l’intérêt pour moi, parce que j’ai une valeur, parce que je contribue à donner un sens à son travail... Comment « rencontrer » cette personne, être en lien et éprouver de la liberté dans ce lien ?
En pratique : le contenant, la forme de la relation
Nous ne proposerons ici que quelques réflexions dans ce champ infini qu’est la relation et qui nous semble faire l’intérêt de ce drôle de métier. Sur le plan de l’organisation de l’espace, il nous apparaît efficient de nous placer « à côté » de la personne ; les deux sièges formant un angle de moins de 45 degrés. Cette disposition semble avoir un effet sur la relation et la liberté. En effet, le bureau risque de majorer le sentiment abandonnique par la perte de proximité et la position haute implicite : « nous n’appartenons pas au même monde… ces problèmes ne peuvent me concerner… je suis un expert… ». Le face-à-face peut lui stimuler les prescriptions, les conseils pouvant être vécus comme une négation de la difficulté. Dans cette posture, nous gardons un oeil sur l’épaule du patient, reflet de sa respiration, seule information fiable concernant le vécu émotionnel (Vallée, 2017).
Cette « architecture » permet aussi d’externaliser un contenu devant les deux interlocuteurs (White, 2009) :
- soit la scène problème : le problème n’est plus à l’intérieur de la personne mais devant, il est partagé et prêt à être projeté dans la main comme cible si besoin ;
- soit l’avenir désiré : un objectif vers lequel aller se dessinant devant les deux protagonistes. La meilleure option semble ainsi être un siège roulant à hauteur réglable permettant d’ajuster la distance en fonction des besoins de la personne entre le trop près maltraitant, ou le trop loin abandonnique. Distance qui varie au cours de la vie de l’entretien.
... cette femme abusée de multiples fois ne pourra plus dire : « tous les hommes sont des porcs »
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Dr Emmanuel MALPHETTES
Travaille comme chef de service de psychiatrie au CHU de Nantes. Responsable du centre régional sur le psychotraumatisme et d’une unité de consultation de post-urgence. Formateur au DU d’hypnose, au DIU de prise en charge de la douleur, au sein de l’ARePTA-IMHENA et dans d’autres instituts de formation. Intervient comme enseignant dans les séminaires pour les internes en DES de psychiatrie, à l’IFSI, à l’Ecole de sages-femmes et à la Faculté de psychologie.
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