Les grands entretiens: Dr Chantal WOOD interviewée par le Dr Gérard FITOUSSI

Dr Chantal WOOD
Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Après une enfance passée entre l’Inde et l’Angleterre, avec un vif et précoce intérêt pour la médecine, Chantal Wood, devenue pédiatre, a fait beaucoup pour développer l’hypnose dans le milieu hospitalier pédiatrique. Son combat : soulager la douleur des petits patients.

Chantal Wood :

Je suis née aux Indes. Mon père était militaire et anglo-indien d’origine et ma mère gréco-libano-française. Jusqu’à l’âge de 12 ans, j’ai vécu neuf ans en Inde et trois ans en Angleterre (de 6 à 9 ans). En Inde, nous vivions dans des garnisons, à l’extérieur des villes.

J’étais souvent malade, avec des choses peu graves mais je voyais le médecin-chef de la garnison souvent. Cela m’a poussée à vouloir être médecin, ce d’autant plus qu’il était très content de m’expliquer des choses sur la médecine. J’avais le droit de venir souvent à l’infirmerie, et j’échangeais avec les soldats malades, ou qui présentaient des traumatismes de guerre (soldats ayant vécu la guerre entre l’Inde et la Chine). J’y ai rencontré des gens traumatisés, amputés... et je les écoutais me raconter leur histoire, leurs peines, leurs douleurs, leur peur de la vie d’après... J’avais 10 ou 11 ans, mais ces échanges m’ont beaucoup marquée. Cela m’a renforcée dans l’idée de devenir médecin, car déjà, à l’âge de 5 ou 6 ans, je souhaitais devenir médecin. J’ai même appris à faire des piqûres à l’âge de 10 ans, grâce au médecinchef qui m’avait pris sous son aile. Mais mon père m’a interdit de participer à la campagne de vaccination contre le choléra. J’étais furieuse à l’époque, mais je n’avais que 10 ans... Vivre en Inde m’a permis de côtoyer des gens de différentes cultures, de différents niveaux sociaux et différentes religions. J’ai appris la tolérance et l’écoute des autres. Mon père, qui adorait Rudyard Kipling, m’a appris à écouter chacun, quelle que soit sa classe sociale, ce qui était assez unique à l’époque en Inde. Il m’a appris la tolérance vis-à-vis de religions différentes, lui qui avait connu les tueries lors de la partition entre l’Inde et le Pakistan. J’ai croisé le chemin du dalaï-lama quand j’étais enfant à Bodhgaya, et la tolérance de la philosophie bouddhiste m’a plu et interrogée. Cela m’a donné, je pense, une ouverture d’esprit à l’autre, à un autre différent de moi, et cela m’a appris à me mettre à la place de l’autre et à l’écouter. Apprendre de lui, quels que soient sa classe sociale, son niveau d’éducation, sa religion... Mais je n’avais pas de contact direct avec les très pauvres.

Peux-tu évoquer ta grand-mère d’origine khasi et son influence sur toi ?


Ma grand-mère avait un respect pour la culture des Anglo-Ecossais (mon grand-père) mais n’avait aucune honte de sa culture khasi. Elle m’a fait comprendre l’importance de la tribu, de l’obligation de ne pas se marier avec un membre de la même tribu (évitant ainsi la consanguinité), et l’importance d’être une fille. Une fille transmet la vie ; elle va aussi, si c’est la plus jeune, rester avec ses parents, et va hériter d’eux, car elle sera dans l’obligation de s’en occuper. Nous passions des soirées autour du feu de cheminée, et ma grand-mère me racontait des histoires. Une chose marquante chez les Khasi, c’est que quel que soit votre lien, même lointain avec la tribu, vous demeurez toujours un Khasi. Cela a été important pour moi à l’époque, car on n’acceptait pas les Anglo-Indiens, et les mélanges de races étaient mal vus.

Comment as-tu découvert l’hypnose ?


J’ai découvert l’hypnose en travaillant avec le Docteur Jean Bruxelle, grand pionnier de la prise en charge de la douleur en France, et qui avait été formé à l’hypnose. En suivant ses consultations, j’ai pu comprendre l’importance des mots prononcés, des silences, de la relation à l’autre... Cela m’a poussée à aller voir le Professeur Didier Michaux, et j’ai commencé à me former à l’Institut Français d’Hypnose.

Comment as-tu développé l’hypnose dans le champ pédiatrique ?


Cela n’a pas été facile à l’époque, en 1998. J’ai eu la chance d’avoir une réputation de quelqu’un de sérieux, avec une solide base scientifique (j’avais dirigé une des cinq réanimations pédiatriques de Paris), et donc même si cela paraissait un peu « fou » pour mes collègues, ils m’écoutaient. C’est quand ils ont vu les résultats (très positifs), qu’ils ont fait de plus en plus appel à moi. J’ai utilisé l’hypnose en réanimation, puis en hématologie, pour les enfants avec des leucémies, puis cela s’est étendu aux autres services de l’hôpital.

Pourquoi cette focalisation sur la douleur ?


Depuis les années 1980, j’ai été marquée par la douleur des petits patients qui à l’époque ne recevaient aucun antalgique pour un soin ou pour la chirurgie. Cela m’a consternée ! Je me suis formée à la prise en charge de la douleur à partir de 1994, avec un DU Douleur, suivi d’une capacité Douleur, et intégré en 1995 l’équipe du Docteur Bruxelle à l’hôpital Cochin. Les enfants parlaient de « bobos ». J’ai donc utilisé le mot « bobologue » sur ma blouse de l’hôpital. Cela leur faisait moins peur que « médecin douleur » et en plus cela les interrogeait. L’alliance thérapeutique était plus facile !

Quelles sont les figures qui t’ont influencée ?

Pour lire la suite de l'article



CHANTAL WOOD: Pédiatre, anesthésiste réanimateur. Elle s’est formée à l’hypnose en 1995 à l’IFH. A oeuvré au développement de l’hypnose dans le milieu hospitalier pédiatrique, initialement à l’hôpital Robert-Debré, puis à étendre des formations d’hypnose pour le personnel pédiatrique en France, avec l’aide de fondations mécènes, dont Fondation Apicil. A également développé l’hypnose au CHU de Limoges où elle a dirigé le Centre de la Douleur. Elle a écrit des articles, participé à des livres et des films sur l’hypnose. Formatrice en France et à l’étranger. Elle garde une activité d’hypnose en accompagnant des patients en chirurgie éveillé au CHU de Poitiers.


GÉRARD FITOUSSI: Président de l’European Society of Hypnosis. Président de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’Hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau.


Revue Hypnose Therapies Breves 61Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°61

Dossier : Ecothérapie et F. Roustang

Edito: Créativité et résonance. Julien Betbèze, rédacteur en chef

Peur de prendre l’avion. Technique des mains de Rossi. Corinne Paillette, médecin

Remise en mouvement. Les techniques hypnotiques du « mine de rien ». Marie-Clotilde Wurz de Baerts, psychologue clinicienne

Le pouvoir de la dissociation. Corps et trauma. Gérald Brassine, psychothérapeute


Urgences radiologiques. Le récit de ma vie de grande sensible. Kathy Prouille, manipulatrice en électrocardiologie

La plume et le masque. Histoire de masques, de vagues et de web-conférences par temps de pandémie. Olivier de Palézieux, médecin urgentiste

Douleur douceur
Edito. Gérard Ostermann, médecin

Automaticité et neurosciences. Carolane Desmarteaux, neuropsychologue et Pierre Rainville, directeur du laboratoire de neuropsychologie-physiologie de la douleur de Montréal

Syndromes d’Ehlers – Danlos. Errance du douloureux chronique. Sylvie Colombani-Claudel, médecin anesthésiste réanimateur et Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste

Dossier Ecothérapie autour de François Roustang

Edito : Réintroduire un imaginaire centré sur la coopération. Julien Betbèze

François Roustang et l’écothérapie. Il suffit de se sentir vivant. Virginie Coulombe, psychologue clinicienne

Hypnose et crise écologique. La transe, renouveau anthropologique. Nicolas Bichot, psychologue clinicien

Hypnose et narcissisme. La métaphore au service de la relation. Alexia Morvan, docteur en chirurgie dentaire

Rubriques : 

Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Résonance. Stefano Colombo, psychiatre, illustration Mohand Chérif Si Ahmed, psychiatre

Les champs du possible : A la bonne heure ! Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale

Culture monde : Ces songes qui guérissent. Les rites d’incubation d’Hyderabad à Epidaure. Sylvie Le Pelletier-Beaufond, médecin-psychothérapeute.

Les grands entretiens : Chantal Wood, pédiatre. Par Gérard Fitoussi, médecin