Les outils de la Thérapie Narrative

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 62
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Touver un sens à l'insensé.
Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans, et Elio 15 ans...


Quand des ados verbalisent des idées suicidaires, la crainte du passage à l’acte n’est jamais loin...

Et pourtant, ce moment peut être une précieuse opportunité pour amorcer un travail de psychothérapie. En pleine (re)définition de leurs valeurs, de la personne qu’ils voudraient être et de ce qui peut rendre la vie digne d’être vécue, les adolescents constituent un public particulièrement preneur de thérapie narrative. Nous présentons ici quelques manières dont nous utilisons des outils de thérapie narrative pour désamorcer les idées suicidaires dans notre pratique en Centre médico-psychologique (CMP) de psychiatrie infanto-juvénile.

CONVERSATIONS EXTERNALISANTES : CÉLIA, OU LES IDÉES SUICIDAIRES COMME FAUX BON CONSEIL DE « DÉPRESSION »

Les conversations externalisantes sont un moyen de redonner au sujet un peu plus de liberté dans sa relation à son problème. Leur objectif est de dégager l’identité du sujet de la définition de son problème : le patient n’est plus « un anxieux » ou « un dépressif », mais un sujet qui cherche à faire face à un problème qu’il peut choisir de nommer comme il le souhaite ; les symptômes ne sont plus des caractéristiques propres au sujet, mais les effets du problème dans sa vie.

Célia a 14 ans. C’est une adolescente au contact doux et timide qui adopte un style gothique en se désolant d’être la seule à le faire dans son collège de petite ville. Elle se dit en difficulté pour initier des relations avec ses pairs et ne se sent à l’aise en relation que sur les réseaux sociaux. Elle met en lien son mal-être, sa tristesse et les crises d’angoisse qui la tourmentent depuis plusieurs mois avec son isolement social au collège. L’arrivée du confinement la soulage dans un premier temps, puis les crises d’angoisse envahissent également la vie quotidienne à domicile. Je la rencontre pendant le confinement, alors qu’elle a verbalisé des idées suicidaires scénarisées à sa mère. Elle se présente comme « une fille dépressive », son identité est confondue avec celle de son problème et on ne trouve pas d’exception. Elle se saisit assez facilement du questionnement de la carte d’externalisation et peut me décrire précisément son fléau, qu’elle nomme d’abord « Dépression ».

Nous cartographions ensemble toutes les actions de Dépression dans sa vie : la boule dans le ventre, la perte d’envies, l’idée qu’elle est mauvaise pour ses proches et qu’ils se porteraient mieux sans elle, l’envie de se faire du mal voire de mourir. Sont facilement venus ensuite les effets de Dépression dans la vie familiale : de la peur et de la méfiance chez sa mère, des mensonges de sa part, moins de bons moments ensemble. La description soigneuse de Dépression et les phases d’évaluation et justification ont permis de générer un sentiment de colère chez Célia : « Mais de quel droit elle pourrit ma vie comme ça ? » Je lui propose alors de donner au problème un surnom pour marquer le fait qu’elle est en colère contre lui : Dépression devient « Sale Pourriture de Dépression » (SPD).

Après une discussion sur le caractère de SPD, ses motivations et son sens moral, nous aboutissons à la conclusion que quelqu’un d’aussi fourbe pourrait très bien avoir corrompu les médias et infiltré les réseaux sociaux : les idées qui passent dans la tête sur soi, sur le monde, sur les autres. SPD pourrait ainsi pratiquer la censure (chasser les idées positives) et surtout glisser des fake news. « En fait SPD, c’est comme un troll qui me harcèle. » Et que fait-on avec les trolls ? On les ignore, on les bloque, on les dénonce. Nous nous mettons d’accord pour travailler ensemble dans le but de limiter l’influence de SPD dans sa vie, à commencer par son influence sur les réseaux sociaux.

Une première tâche de « traqueuse de fake news » lui est donnée à l’issue de cet entretien : à chaque pensée qui lui vient sur elle-même, Célia est invitée à se demander qui en est l’auteur (quelqu’un qui lui veut du bien ? ou serait-ce SPD ?), noter la crédibilité qu’elle lui accorde entre 10 et 0, et imaginer ce que pourraient dire d’autres sources qu’elle considère comme fiables : ses parents, sa soeur, ses amis. Célia n’a plus présenté de velléité suicidaire, elle s’investit dans la psychothérapie qui se poursuit. Le passage par l’externalisation a permis d’ébranler suffisamment les cognitions négatives qui alimentaient la tentative de solution « idées suicidaires ». Ces pensées négatives sur elle-même existent encore, mais une fois que l’idée qu’on peut n’y adhérer que partiellement est semée, elles ont perdu de leur pouvoir. L’externalisation a permis d’ouvrir un champ de travail sur son identité à elle : d’abord « Célia l’ado harcelée par SPD », puis Célia tout court, et nous travaillons à définir « Célia qu’elle voudrait être ».

L’ABSENT IMPLICITE : ELIO ET LES IDÉES SUICIDAIRES COMME APPEL AUX VALEURS MANQUANTES

On peut utiliser, pour représenter la présence d’un problème dans l’histoire de vie et l’identité du sujet, l’image d’un champ de points représentant chacun un événement de vie : l’histoire qu’on se raconte sur soi trace une ligne reliant quelques-uns de ces points. Si le sujet va mal, son histoire dominante est saturée par le problème : une seule ligne qui ne passe que par des anecdotes de moments où le problème est présent en ignorant les exceptions. Le travail sur les exceptions, les ressources et valeurs du sujet, peut aboutir au passage d’une perception étroite à une perception large, qui permet au sujet de percevoir et prendre en compte à nouveau ces moments vivants, porteurs, et de pouvoir tracer plusieurs histoires alternatives. Le suicide peut être recadré comme un refus, une déclaration de désaccord. Les idées suicidaires viennent signifier que l’histoire dominante ne mène nulle part et n’est pas en accord avec les valeurs du sujet. Quelque chose en lui refuse la poursuite de cette histoire et fait appel aux valeurs manquantes, celles qui sont indispensables à ses yeux pour mener une vie digne de ce nom. Il est capital de pouvoir aider rapidement l’adolescent à se reconnecter avec des histoires alternatives qui, elles, continuent.

Elio a 15 ans. C’est un adolescent vif, intelligent, sociable, passionné de K-pop et de danse moderne…. Pour lire la suite, commandez cette Revue 62 Hypnose et Thérapies Brèves en cliquant ici



FRANÇOISE VILLERMAUX
Pédopsychiatre, diplômée de la faculté de médecine de Lille. Formée en Hypnose et Thérapies brèves à l’ARePTA en 2020. Actuellement praticien hospitalier dans le service de Psychiatrie infanto-juvénile du centre hospitalier d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).


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N°62 : Août, Septembre, Octobre 2021


Edito : Transe relationnelle. Julien Betbèze, rédacteur en chef



La lévitation : un catalyseur de changement. Daniel Quin. Lâcher prise consiste à sortir de son cadre habituel de références et, par la transe, plonger dans un univers sans savoir où il nous mène. Avec les exemples de Marie, 12 ans, en échec scolaire, Lise, 35 ans, qui souffre de compulsion alimentaire, de Nadine, 22 ans qui veut perdre du poids, d’Anne, 35 ans, qui boit de la bière de façon excessive.

Conversation de désengagement : le changement par l’aversion. Alain Vallée. Exercices pratiques pour amener au désir de changement. Ce genre de conversation centrée sur la liberté ou la contrainte, les valeurs ou le jugement d’autrui et les sensations corporelles est d’une grande puissance et prend peu de temps. Avec les exemples du tabagisme, de la colère…

De la métaphore à la chanson de geste. Histoire de réceptivité. Bruno Dubos. Dans le travail métaphorique tout est question de réceptivité. Le thérapeute utilise une métaphore pour « aller vers le sujet », celui-ci va-t-il la « recevoir » ? Avec l’exemple de Sylvie et sa suite traumatique d’un long parcours émaillé d’interventions chirurgicales conséquence d’une erreur médicale.



- Les outils de la thérapie narrative : trouver du sens à l’insensé. Françoise Villermaux. Quoi de plus anxiogène, pour le psychologue ou le pédopsychiatre, qu’un adolescent qui exprime des idées suicidaires ? Illustration avec Célia, 14 ans et Elio, 15 ans.



Dossier : Douleur, douceur



- Edito : Gérard Osterman

- La peur des soignants face à la mort. Myriam Mercier. Confrontés à la mort de patients dans leur travail, les soignants sont-ils autorisés à laisser parler leurs peurs ? Ou doivent-ils laisser leurs émotions à la maison ?


- Burn-out et doubles liens professionnels. Jérémy Cuna. Les exemples de M. H, directeur et délégué du personnel et de M. L, directeur adjoint et mari d’une salariée.

- Les gestes autocentrés : phénomène non conscient de ré-association. Corinne Paillette. Croiser les mains et mouliner des pouces, pianoter avec ses doigts sur ses cuisses, se gratter la tête… autant de petits gestes à observer chez les patients.



Dossier : Thérapie familiale


- Edito : Julien Betbèze. Mony Elkaïm : un thérapeute familial hors du commun


- Résonance et hypnose. En hommage à Mony Elkaïm et François Roustang. Sylvie Le Pelletier Beaufond. En vignette clinique, Mme C, 40 ans, en dépression depuis des années.


Affronter l’ado tout-puissant : TOS (Thérapies Orientées Solution) et approches stratégiques. L’incroyable prise de pouvoir d’un adolescent de 15 ans sur sa famille. Sophie Tournouër


- Thérapie familiale et hypnose. Dimitri Tessier. Rétablir les liens entre les personnes dans des contextes de blocages relationnels. Les exemples de la famille L, une femme élève seules ses enfants, et du couple C en désaccord sur l’éducation de leur fille.



Rubriques


- Quiproquo. Stéfano Colombo. « Famille ». Dessin de Mohand Chérif Si Ahmed alias Muhuc

- Les champs du possible. Adrian Chaboche. Heureusement le temps passé passe par le présent.

- Culture monde. Sylvie Le Pelletier Beaufond. Les forces de l’invisible. Thérapies au Bénin.

- Les Grands entretiens. Gérard Fitoussi. Jacques-Antoine Malarewicz

- Livres en bouche: Julien Betbèze, Sophie Cohen.