Les grands entretiens: Stephen R. Lankton interviewé par Gérard FITOUSSI

Stephen R. Lankton
Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Auteur de nombreux écrits et ouvrages, récompensé par plusieurs prix, Stephen R. Lankton pratique la psychothérapie depuis 1974 et forme des thérapeutes dans le monde entier depuis 1979.

Pouvez-vous nous parler de votre trajectoire personnelle ? Stephen R. Lankton :
Je suis né dans le Michigan. Enfant, je ne lisais vraiment pas très bien mais je voulais comprendre et j’ai porté une attention particulière aux nuances de ce que les enseignants disaient. J’ai toujours été intéressé par le fonctionnement des choses. Ma mère et mon père travaillaient extrêmement dur.

Mon père était très habile et je restais à le regarder faire et à l’aider comme je le pouvais quand il installait des appareils de chauffage, de climatisation, des systèmes électriques ou de la plomberie. Je démontais mes jouets et ma mère me disait : « Steve, ne le démonte pas dans la voiture, attends de rentrer à la maison ». Vivant « à la campagne », j’étais entouré de champs, de ruisseaux, de bois à parcourir et d’arbres. J’ai pu collecter de nombreux spécimens, examiner des choses, faire des expériences, etc. Après un premier cycle à la Michigan State University, je suis devenu bénévole dans un centre d’intervention de crise, où j’ai rencontré Jeffrey Zeig. L’université du Michigan était réputée pour ses programmes en thérapie psychodynamique et comportementale. J’ai débuté une formation de troisième cycle en Gestalt-thérapie et en analyse transactionnelle. Lors de l’obtention de mon diplôme, j’avais une vaste expérience des interventions de crise, du travail de proximité, en développement de la jeunesse et en réadaptation.

Comment avez-vous découvert l’oeuvre de Milton Erickson ?
Par Stratégies de la psychothérapie de Jay Haley (1963). Il parlait du Docteur Erickson comme de quelqu’un qui était « à l’automne de sa vie ». Et comme tout ce que j’avais lu auparavant avait « disparu depuis longtemps » – comme les Empires ottoman, byzantin ou romain, les conquistadors –, j’ai supposé que le personnage dont parlait Haley était également mort.

Gregory Bateson, en 1975, vous a encouragé à rencontrer Erickson ?
Un jour que nous déjeunions, je lui demandais son avis sur la possibilité que les parents soient en quelque sorte des hypnotiseurs par inadvertance de leurs enfants. Il m’a indiqué ne pas être tout à fait sûr de la meilleure façon de répondre et que je devrais contacter Milton Erickson. Je lui ai dit que je pensais qu’il était mort. De façon amusante (rétrospectivement), Bateson était sidéré de penser que Erickson était mort, et après y avoir réfléchi, il a conclu que « Erickson doit certainement être vivant parce que j’aurais été invité à l’enterrement ».

Comment s’est passé votre premier contact avec Erickson ?
Bateson m’avait dit qu’il y avait deux Milton H. Erickson à Phoenix et de m’assurer que j’appelais bien le psychiatre. Je m’attendais à entendre une secrétaire. Lorsque la personne au bout du téléphone a répondu, elle a simplement grogné : « Oui… » J’ai expliqué que je cherchais Milton Erickson et la voix a dit : « C’est lui. » J’ai ajouté que je cherchais le psychiatre. Et encore une fois la voix répéta : « C’est lui. » J’étais vraiment déstabilisé, comme c’est le cas lorsque protocoles et rituels sociaux normaux n’aident pas à encadrer la situation. J’ai réussi à balbutier que je le connaissais à travers les oeuvres de Haley et mes discussions avec Bateson et que j’aimerais qu’il vienne au Michigan pour y enseigner un week-end. Erickson a expliqué qu’il était paralysé et qu’il ne pouvait pas voyager. J’ai répondu que nous avions une mauvaise connexion téléphonique et que je n’avais pas compris ce qu’il avait dit. Alors, il a répété. Et puis j’ai répété à nouveau que je ne comprenais parce que nous avions une mauvaise liaison téléphonique. Ce à quoi il a répondu par une exclamation : « Nous n’avons pas une mauvaise connexion téléphonique. Mes fichues lèvres sont paralysées ! » Puis il a ajouté que je devrais lui écrire une lettre lui suggérant des dates et il a raccroché sans un au revoir. J’ai écrit la lettre et il m’a invité à le voir.

Quelles sont les principales leçons que vous gardez de Milton Erickson ?
Il n’y a pas une leçon principale. A moins que la leçon principale soit que tout ce que je pensais savoir était incorrect. Je n’avais pas envisagé les concepts d’utilisation, de parler le langage expérientiel du client, d’utiliser l’indirection, l’ambiguïté, de dépotentialiser l’esprit conscient, ni la dissociation consciente/inconsciente, voire même d’utiliser l’humour, etc., en psychothérapie. Le plus important est peut-être que tout cela ne faisait même pas partie des concepts que j’avais étudiés dans aucun des domaines de la psychothérapie.

Comment avez-vous développé la métaphore intégrée multiple ?
En travaillant sur les transcriptions de mes cassettes audio avec Erickson, j’ai remarqué qu’il commençait une histoire – nous les appelons maintenant des métaphores –, s’arrêtait au milieu et repartait en tangente avec une autre métaphore. Ensuite, il s’arrêtait au milieu, racontait une autre métaphore ou une autre histoire de cas, puis terminait la deuxième histoire qu’il avait commencée plus tôt, et par la suite terminait celle par laquelle il avait commencé. L’ensemble pouvait ne prendre que cinq ou dix minutes. Erickson pensait que la psychothérapie était plus efficace lorsque vous dépotentialisez l’esprit conscient. L’utilisation de plusieurs histoires non résolues était une façon très conversationnelle de créer cela. Le résultat est que l’esprit con - scient est tellement occupé avec tout ce matériel issu des multiples métaphores imbriquées que cela dépotentialise effectivement l’esprit conscient.

Pouvez-vous nous parler de la « tâche fictive ambiguë » que vous avez développée ?
Erickson a raconté de nombreuses histoires sur les tâches qu’il a confiées à ses clients. Et il semblait que dans chaque histoire, le résultat était remarquablement thérapeutique. Quand je lui ai demandé comment il savait que les choses allaient si bien se passer, et je l’ai fait pour que je puisse apprendre à reproduire l’intervention, il n’a jamais fourni de réponse satisfaisante. En fait, ce qu’il dirait plus que probablement, c’est : « je parlais le langage expérientiel du client ». Au moment où je terminais mon deuxième livre, The Answer Within, je me suis rendu compte qu’il ne savait peut-être rien du résultat à l’avance. Au lieu de cela, il continuait à communiquer jusqu’à ce qu’un résultat thérapeutique soit atteint. Cela expliquait pourquoi chaque histoire se terminait si bien. Ce genre de tâche ambiguë est particulièrement utile lorsque vous semblez être parvenu à une sorte d’impasse dans la thérapie, et que vous ne pouvez tout simplement pas comprendre stratégiquement où aller ensuite. Après quarante ans de thérapie, j’ai compris que chaque personne a un problème unique et différent qui nécessite une approche sur mesure et personnalisée de la part du thérapeute.

Quelle est votre vision du futur de l’hypnose aux Etats-Unis ?

Pour lire la suite de l'interview...



GÉRARD FITOUSSI Président de l’European Society of Hypnosis. Président de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’Hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau.



STEPHEN R. LANKTON MSW, DAHB, FASCH, travailleur social clinique agréé (LCSW) à Phoenix, en Arizona. Rédacteur en chef de l’« American Journal of Clinical Hypnosis » depuis 2005 et membre de l’American Society of Clinical Hypnosis. Il est diplômé en hypnose clinique et président émérite de l’American Hypnosis Board for Clinical Social Work. Parmi ses prix, il s’est vu décerner un Prix d’excellence pour l’ensemble de sa contribution au domaine de la psychothérapie (Fondation Milton H. Erickson), le prix Irving Secter pour l’avancement de l’hypnose clinique, et un Prix pour l’ensemble de sa carrière pour des contributions dans le domaine de l’hypnose (Société américaine d’hypnose clinique). Il est auteur, coauteur ou éditeur de 19 livres, avec des traductions en six langues, et plus de 45 chapitres et articles dans des publications professionnelles.


Pour commander la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°59

Revue Hypnose Therapies Breves 59Cinq scripts créatifs détaillés


Edito : Julien Betbèze

L’hypersuggestibilité. Au service de l’hyposuggestibilité. Dominique Megglé

Script créatif détaillé : 20 minutes pour se libérer du tabac. Hypnose en médecine générale. Françoise Barthès

Script créatif détaillé : Du trauma à la résilience. Par la thérapie du lien et des mondes relationnels. Stéphane Roy

Script créatif détaillé : La sphère relationnelle. Travailler la distance en hypnose. Corinne Paillette

Nicolas de Staël : Peindre et se dépeindre. Franck Salzmann

En couverture. Céline Saby. Poésie et fleurs, ça fait du bien. Sophie Cohen

Espace douleur

Editorial. Gérard Ostermann

Script créatif détaillé : Travail en hypnose avec des mineurs immigrés. Stéphanie Delacour

Script créatif détaillé : Hypnose et handicap. Du traumatisme à la créativité. Christelle Lecellier

Dossier : Les soins palliatifs

Editorial : Francine Hirszowski

Les TAC en soins palliatifs. Jean Becchio et Sylvain Pourchet

Psychomotricité. Bouger… je le veux. Patrick Martin

Les techniques hypnotiques à l’hôpital de Bourg-en-Bresse. Vianney Perrin

Infirmière en Ehpad. Valérie Etchevers

Rubriques

Quiproquo… « Prenez soin de vous, Docteur » Stefano Colombo et dessin de Muhuc

Les champs du possible : Docteur, je tiens à vous dire que je fais le poireau… Adrian Chaboche

Culture du monde : Jeux de guérison dans le sud de l’Iran. Sylvie Le Pelletier-Beaufond

Les grands entretiens : Stephen R. Lankton. Gérard Fitoussi

Livres en bouche