Les grands entretiens: Mark P. Jensen interviewé par Gérard FITOUSSI

Mark P. Jensen interviewé par Gérard FITOUSSI
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Professeur et chercheur à l’University of Washington, auteur du livre « Hypnosis for Chronic Pain Management », Mark P. Jensen a voué sa vie à son travail sur l’hypnose. Sa quête : libérer les patients de leurs douleurs chroniques, alléger la souffrance dans le monde.



Pouvez-vous nous donner quelques informations biographiques ? Mark P. Jensen :
Mon arrière-grand-père, arrivé aux Etats-Unis en 1864, est originaire du nord de l’Allemagne et la famille de ma mère du Royaume-Uni. J’ai grandi dans le nord-ouest pacifique des Etats-Unis, qui est l’un des plus beaux endroits du monde.

Quels sont vos loisirs ? Je suis peut-être un peu gêné de dire que mon passe-temps préféré est... mon travail. Quand j’ai du temps « libre », j’aime écrire des articles, des chapitres et des livres. J’aime voyager, présenter des exposés et animer des ateliers sur l’utilisation de l’hypnose pour le changement de comportement et la gestion de la douleur.

Et vos études universitaires ? Lors de mes études au début des années 1980, il était dit que l’hypnose ne pouvait pas vraiment être efficace contre la douleur chronique. Paul Karoly, mon professeur à l’époque, m’a dit qu’il étudiait « la psychologie de la santé ». J’ai commencé à étudier la douleur et sa gestion presque dès le début. J’ai obtenu un poste de professeur au Département de médecine de réadaptation de l’université de Washington, où j’ai travaillé comme psychologue au centre multidisciplinaire de la douleur. J’y suis toujours à ce jour.

Quelle a été votre première rencontre avec l’hypnose ? Ma toute première rencontre avec l’hypnose a été un livre du poète et romancier Reynolds Price, A Whole New Life. Il y décrit la survenue d’une douleur chronique après une radiothérapie pour un cancer et la façon dont la douleur prend le dessus sur sa vie et le rend incapable de fonctionner. Il évoque comment, avec l’autohypnose, il a été capable de la mettre de côté.

Où avez-vous été formé ? Joseph Barber vivait à Seattle. Je l’ai rencontré et j’ai pu apprendre auprès de lui. Je lui serai éternellement reconnaissant ainsi qu’à David Patterson. J’ai également été inspiré par de nombreux collègues et notamment des membres du conseil d’administration passé et actuel de l’International Society for Hypnosis : Bernhard Trenkle, Julie Linden, Camillo Loriedo, Claude Virot, Ena y a t o l l ah Shahidi , Wo l t emade Hartman, Giuseppe De Benedittis, Brian Allen, Cecilia Fabre, Xin Fang, Krzysztof Klajs, Katalin Varga, Nicole Ruysschaert et Consuelo Casula.

Quels sont les livres qui ont été importants pour vous ? Je dirai en premiers : Hypnosis and Suggestion in the Treatment of Pain: A clinician’s guide, de Joseph Barber ; et Hypnosis for the Seriously Curious, de Kenneth S. Bowers. J’ajouterai : Les oeuvres de Milton H. Erickson, mais aussi Trancework de Michael D. Yapko, 101 choses que j’aurais aimé savoir quand j’ai commencé à pratiquer l’hypnose, par Dabney M. Ewin, Interventions MiniMax, par Manfred Prior. Il manquait à l’époque un livre de base pour l’application de l’hypnose dans le traitement de la douleur chronique. J’ai donc écrit le livre que j’aurais aimé avoir, Hypnosis for Chronic Pain Management: Therapist guide.

Qu’est-ce qui vous a incité à entrer dans le monde de la recherche ? La recherche est disons... amusante. Je suis une personne très curieuse et la recherche me permet de répondre de manière structurée à des questions importantes qui m’intéressent beaucoup, telles que : qui bénéficie le plus de l’hypnose par rapport aux autres traitements et de quelle manière ? quels sont les mécanismes qui sous-tendent les effets bénéfiques de l’hypnose ? comment pouvons-nous utiliser ces connaissances pour rendre l’hypnose encore plus utile pour plus de gens ?... Et je crois que les réponses à ces questions peuvent faire une réelle différence dans la vie des gens. Je pense qu’en comprenant davantage ces effets bénéfiques et les mécanismes qui les sous-tendent (c’est-à-dire que les effets de l’hypnose sur la douleur sont basés sur la biologie et non sur la magie), plus de cliniciens voudront apprendre l’hypnose pour aider leurs clients et patients, et davantage de clients et de patients voudront rechercher des cliniciens qui savent comment aider leurs patients souffrant de douleur chronique. En conséquence, il y aura moins de souffrance dans le monde. Et c’est mon objectif principal et numéro un. C’est pourquoi je fais ce travail.

Devrions-nous utiliser l’hypnose toujours en combinaison avec d’autres approches ? Oui ! L’hypnose et les approches hypnotiques peuvent rendre tous les autres traitements plus efficaces. L’hypnose est plus une façon d’être avec les patients et une façon d’utiliser le langage pour faciliter le changement qu’un traitement autonome.

Comment s’insère l’hypnose dans les centaines de thérapies existantes ? Je pourrais dire qu’il existe des millions de thérapies différentes, parce que chaque clinicien adapte alors (idéalement) ce qu’il sait pour créer une approche entièrement nouvelle pour chaque patient. Il est probablement encore plus juste de dire qu’il existe des milliards de thérapies, des millions étant inventées chaque jour.

Que vous apportent toutes vos nombreuses activités ? Beaucoup de satisfaction. Nous savons que le bonheur personnel vient de trois types d’activités : le plaisir hédoniste (par exemple, un bon repas, un bon vin, une bonne blague), des activités « fluides » (par exemple, jouer ou écouter de la musique, des passe-temps où l’on se perd comme la danse de salon), et des activités ayant du sens (par exemple, des activités qui contribuent à la communauté pour rendre le monde meilleur). Les gens qui se limitent à un ou deux de ces types d’activités ne sont pas aussi heureux que ceux qui se livrent aux trois. Et des trois, la création de sens est la plus puissante. C’est pourquoi mon « travail » est mon passe-temps principal. J’obtiens beaucoup de satisfaction et de bonheur à le faire.

Quelle est votre vision du futur de l’hypnose aux Etats-Unis ? A mon avis, l’hypnose clinique n’est toujours pas suffisamment acceptée aux Etats-Unis dans l’ensemble. Dans les hôpitaux, l’hypnose pour la gestion des symptômes (par exemple, les soins postopératoires, l’anxiété procédurale et la gestion de la douleur) n’est pas encore proposée systématiquement. Cela dit, il y a de bonnes nouvelles. Il y a trente ans, les National Institutes of Health (NIH) refusaient de financer la recherche sur l’hypnose. Aujourd’hui, en raison de la disponibilité du financement, mais aussi de l’intérêt pour les approches non pharmacologiques, il y a une augmentation de la recherche sur l’hypnose ces deux dernières décennies. L’Administration des anciens combattants (AC) aux Etats-Unis exige désormais que les vétérans puissent bénéficier d’un traitement d’hypnose. Les cliniciens des hôpitaux de l’Administration des AC pourront bientôt apprendre à utiliser l’hypnose dans leur pratique. Je pense donc qu’il y a eu des progrès. Quant à la recherche, nous n’avons que trois laboratoires aux Etats-Unis qui se concentrent sur la recherche sur l’hypnose : celui de Gary R. Elkins à l’université Baylor au Texas, celui de Guy Montgomery à l’hôpital Mount Sinai de New York, et le mien à l’université de Washington.

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Focus sur le Pr Mark JENSEN

mark jensen



MARK P. JENSEN PhD. Professeur et vice-président de la recherche au Département de médecine de réadaptation de l’université Washington School of Medicine, Seattle, Washington (Etats-Unis). Il a siégé au conseil d’administration de la Société internationale d’hypnose pendant sept ans et est l’actuel président désigné de la Société. Auteur de dix livres, de plus de 35 chapitres et plus de 550 articles dans des revues scientifiques à comité de lecture. Son manuel pour les cliniciens, Hypnosis for Chronic Pain Management, publié en 2011 par Oxford University Press, a remporté le prix Arthur Shapiro du meilleur livre sur l’hypnose de la Society of Clinical and Experimental Hypnosis.


 GÉRARD FITOUSSI Président de l’European Society of Hypnosis. Président de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’Hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau.


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 N°60 Février Mars Avril 2021

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