Commencer par retrouver la relation.

La mort de son mari a laissé Madame D. dans la souffrance et le manque de sa présence. Le thérapeute s’appuie alors sur la thérapie narrative pour réactiver la relation, première étape avant de pouvoir se libérer des effets de cette absence.

Le cas clinique que je vous rapporte raconte l’histoire de cette femme, Madame D., récemment veuve en 2020, déprimée au sens médico-psychologique. La thérapie narrative est venue réintroduire le défunt pour apaiser son manque de l’autre, là où « les autres », connaissances ou thérapeutes, voulaient lui faire oublier la personne disparue...

Une fois l’autre réintroduit, à travers ses valeurs transmises et/ ou les valeurs partagées, le thérapeute stimule/ratifie des actions en relation avec autrui. Progressivement, la patiente arrive à même éprouver un sentiment de liberté. Le questionnement narratif, en mettant ainsi l’accent sur la relation, échafaude une histoire alternative à partir d’exceptions relationnelles. Dans les dépressions liées à une perte, alors que le travail de deuil insiste « classiquement » sur la séparation avec le défunt, avec ses risques dépressifs, la thérapie narrative (cf. le travail de Michael White dissocie la perte physique de la relation toujours vivante avec la personne décédée, pour permettre au processus d’anticipation de retrouver sa place.

 Nous allons exposer comment le travail thérapeutique permet de retrouver la relation perdue, condition nécessaire avant de travailler sur l’autonomisation de la personne endeuillée. Ainsi peu à peu la personne pourra dire au revoir au Passé, vivre le Présent et même se « reprojeter » dans le Futur : un Temps -Devenir (Henri Bergson).

DEUIL ET INSTALLATION DE LA RELATION

- Thérapeute : « Bonjour Madame D. Pour apaiser votre souffrance, est-ce que cela vous conviendrait que je vous pose des questions, pour que je comprenne ce que vous appréciiez dans la relation avec votre mari ?

- Patiente : Oui.

- Th. : Est-ce que vous pouvez me décrire votre mari : quel genre d’homme était-il ?

- P. : Mon mari était une personne très sensible... euh... très humaine, qui, comment on dit... faisait attention aux autres, était respectueux des autres même pendant son dernier chantier : tout le monde, les ouvriers aussi l’aimaient beaucoup car il était respectueux avec tout le monde. Il pouvait côtoyer de façon égale le maire, les maîtres d’ouvrage jusqu’aux ouvriers : il allait parler avec eux de la même façon, il était respectueux de tout le monde... c’était un humaniste... C’était quelqu’un de sensible, de romantique, attentionné, amoureux et puis c’était aussi quelqu’un de cultivé. Il avait une culture générale assez importante en terme d’art, de musique et c’était aussi quelqu’un de sauvage un peu... quand il était en week-end ou en vacances, il aimait bien être à la maison, se reposer... Voilà, c’était pas quelqu’un de mondain du tout… je crois que je l’ai assez décrit... il était gai... il était drôle aussi : il pouvait être très drôle aussi... Voilà.

- Th. : Voilà, vous venez de me décrire votre mari comme une personne très sensible, de très humain, donc il faisait attention à autrui... dans le domaine professionnel. Vous m’avez expliqué, par rapport à son dernier chantier, qu’il prêtait cas, qu’il faisait attention à tous les gens autour de lui qu’elle que soit leur échelle sociale... C’était aussi un homme cultivé, dans le domaine de l’art en général et la musique, et la peinture... Par ailleurs, il n’était pas très mondain, plutôt casanier, il était aussi drôle. Qu’est-ce que votre mari aime en dehors des autres, en dehors de la culture ? Qu’est-ce que votre mari aime faire ?

- P. : Qu’est-ce qu’il aime faire ? Quand il était à la maison souvent il lisait ou alors il écoutait de la musique ou il regardait la télé... il aimait les bons films mais à la télé, il aimait pas aller au cinéma, mais par contre après, en vacances, il aimait voyager et on découvrait des endroits, on allait dans des beaux endroits, il était épicurien, donc on cherchait à aller dans des beaux restaurants, des bons hôtels, mais surtout aussi par ce qu’on était sensibles à l’esthétique. On aimait aller dans des endroits qui soient beaux, mais surtout ce qu’il aimait c’était de rencontrer des gens où on allait, donc il parlait avec tout le monde, dans la rue avec les conducteurs de taxi, il essayait, voilà, de parler avec les gens, de savoir comment vivaient les gens, ça l’intéressait beaucoup... »

- Th. : « Je suis intéressé de savoir... Estce que vous m’autorisez de vous poser la question de connaître une histoire d’un moment qui représenterait bien ce goût de votre mari pour l’esthétique, ce goût partagé avec vous par rapport à un endroit qui était beau, et en même temps une histoire où il parlait avec des gens avec facilité, avec des gens autour de lui... ou quelques éléments d’une histoire qui serait très représentative de ses qualités relationnelles, de son goût pour l’esthétique ? Il y a une histoire qui vous vient de votre histoire amoureuse ?

- P. : Non, ça me vient pas...

- Th. : OK... ça vous vient pas... tout de suite là...

- P. : Non... je sais pas... mais quand on partait au Brésil, par exemple... il avait appris à parler portugais et il parlait portugais avec tout le monde dans la rue, à Rio, par exemple. Il adorait Rio et il aimait beaucoup aller à la plage, là devant l’hôtel, on allait toujours au même endroit, il aimait parler avec les gens qui vendaient des choses, il aimait s’intéresser à tout le monde, mais il aimait surtout parler avec les gens du peuple. Il trouvait que c’étaient des vrais gens et qui avaient une valeur et qui n’étaient pas valorisés par les autres...


- Th. : Qui n’étaient pas valorisés par les autres mais qui étaient valorisés par lui
-même ?

- P. : Oui, c’est ça, et après les gens l’adoraient...

- Th. : Et ça se voyait à quoi que les gens l’adoraient ? Là, vous me parlez d’un voyage à Rio. J’imagine : il y a l’hôtel et la plage, la rue et des gens avec qui s’installe une relation, et ces gens étaient contents de parler avec lui ?

- P. : Oui, c’est ça, ils étaient contents et il était très sympathique, et en plus il était sincère avec eux et puis il parlait de foot. Il s’y connaissait en foot... au Brésil on parle de foot, là tout de suite ça démarre...

- Th. : OK, il savait parler foot pour rentrer dans la relation avec des gens du peuple.

- P. : C’est ça, il mettait à l’aise les gens tout de suite, quoi...

- Th. : Il mettait les gens à l’aise...

- P. : Oui... tout de suite...

- Th. : Et vous, vous avez été sensible à cette qualité-là... et c’est une valeur partagée par vous, ça ? Le fait de s’intéresser aux gens du peuple et de les mettre à l’aise tout de suite pour avoir une bonne relation avec eux ?

- P. : Oui, tout à fait... sauf que moi je suis un peu plus réservée, pas timide du tout, mais je suis un peu plus réservée. Tandis que lui, il était plus ouvert, il tutoyait facilement, je sais pas, il avait une façon de faire qui ne heurtait pas les gens mais qui les mettait à l’aise. Il avait une relation familière avec eux, avec les gens, sans que ça soit... euh... comment on dit ... d’une façon intrusive.

- Th. : Oui...

- P. : Alors une fois on est allés vivre au Brésil pendant un an et il est devenu ami avec le portier de l’immeuble dans lequel on travaillait, et il soutenait l’équipe de foot opposée parce qu’à Porto Alegre, il y a justement deux équipes de foot qui sont adverses...

- Th. : Excusez-moi, vous me parlez de Porto Alegre, c’est où ?... 

FRANÇOIS CARTAULT
 Premier contact avec l’hypnose ericksonienne avec un élève, le Dr. Jean-Marc Amestoy à Lorient (service national dans la Marine), puis avec Jean Godin à Paris, avant de se former à l’école de Phénoménologie française à Montpellier avec le Dr. Thierry Bottaï (élève du Pr. Tatossian) pendant son internat. Il découvre les thérapies narratives à l’Institut Miméthys à Nantes. Intervenant à Toulouse pour le DIU d’hypnose depuis plus de dix ans, et plus récemment à l’Institut IMHETO dans ses domaines de prédilection : dépression et sevrage tabagique.

Revue Hypnose & Thérapies brèves n°68

N°68 : Février / Mars / Avril 2023

- Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente dans son édito le contenu de ce n°68 :

Comment devenir un meilleur thérapeute ?

Cette question est au centre de notre pratique, elle implique la « présence » du thérapeute dans une approche centrée sur le corps relationnel, ainsi que la mise en place d’évaluations visant à améliorer la qualité du lien thérapeutique.

. François Cartault nous montre comment le travail sur le deuil implique de retrouver la relation perdue comme étape initiale avant de développer l’autonomie de la personne endeuillée. Dans la séance présentée, le questionnement narratif met en évidence l’importance de décrire les différences et les points communs entre les sujets pour enrichir et faire perdurer la relation.
. Solen Montanari nous décrit la situation d’Elisa, 14 ans, qui a perdu toute confiance, un « truc » l’empêchant de lâcher prise dans la relation de soin. Selon l’approche TLMR (Thérapie du lien et des mondes relationnels faisant suite à l'EMDR et l'HTSMA) qu’elle pratique, elle intègre sa propre résonance (image d’un iceberg et vécu de chair de poule) pour co-construire un imaginaire partagé où le thérapeute et Elisa regardent ensemble la scène et en ressentent les effets sous forme d’une expérience unique.
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond nous fait part de son expérience des séances d’hypnose partagées avec François Roustang. Elle souligne l’importance de la ''présence'' pour François Roustang dans sa manière de constituer une relation thérapeutique. Elle rappelle le principe qui gouverne sa pensée, l’existence de deux registres distincts : une forme discontinue correspondant à la dimension de l’individualité, et une forme continue, un fond, constitué de l’ensemble du système relationnel correspondant à la dimension de la singularité.

Ces trois auteurs mettent en scène ce qui est au centre de l’utilisation de l’hypnose en thérapie : le développement d’un processus coopératif où la présence du thérapeute est renforcée par le fait que ce dernier ne pense pas à la place du sujet.

. Grégoire Vitry et ses collaborateurs nous montrent comment la participation de chaque thérapeute à un réseau d’évaluation de sa propre pratique (Réseau SYPRENE) favorise une amélioration de notre pratique. Dans ce travail de recherche portant sur les effets de l’évaluation de l’alliance thérapeutique et de l’état de bien-être, nous comprenons l’importance de tenir compte de la perception du sujet et de partager avec nos pairs.

- L’édito de Gérard Ostermann dans l’Espace Douleur Douceur souligne l’importance de la capacité du thérapeute à faire un « pas de côté » pour rendre l’hypnose vivante dans les soins.

- Chirurgie maxillo-faciale en mission humanitaire, un article de Christine ALLARY

- Olivier de Palezieux nous parle du placebo

- Dans le dossier consacré aux addictions, une constante est l’absence de confiance dans la relation humaine. Les trois auteurs, Maxime Devars, Anne Surrault et Nathalie Denis, nous proposent différentes manières de se libérer des symptômes bloqueurs de la relation (hyperactivité dans l’anorexie, conduite automatique chez le fumeur). Ils s’appuyent sur leur créativité et un imaginaire donnant toute sa place à la stratégie pour que les sujets puissent se réapproprier leur responsabilité dans le soin.

Nous retrouvons la qualité des chroniques habituelles, l’humour de Stefano et Muhuc, les situations cliniques richement décrites par Sophie Cohen, Adrian Chaboche et Nicolas D’Inca : à lire et à se laisser imprégner.

Ce numéro rend également hommage au Professeur Peter B. Bloom, ancien président de l’ISH qui vient de nous quitter le 10 septembre 2022 à l’âge de 86 ans. Dans une interview donnée à Gérard Fitoussi, il souligne l’importance de la créativité dans notre pratique et son espoir que l’hypnose continue à favoriser les rencontres et à nous faire partager des histoires de vie.

Crédit photo © Michel Eisenlohr