Congédier les fantômes: la violence intergénérationnelle. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 66

LA VIOLENCE INTERGÉNÉRATIONNELLE
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Véronique COHIER-RAHBAN

Un père, une mère et leurs deux fils, dont un « enfant problème ». Une famille où la douleur de l’enfant répond comme en écho à la douleur traumatique des parents. Un travail familial permettra de faire émerger de nouveaux liens dans ce climat de « violence sourde ».

L’objectif habituel des parents confrontés aux violences répétées et irrationnelles d’un enfant est de vouloir régler le comportement de l’enfant indépendamment de la violence issue du transgénérationnel.

Le travail avec cette « violence sourde » peut être bloqué par l’écart entre ce que nous voulons faire et ce que la famille attend que l’on fasse. Cet écart entre le dire et le faire est en lui-même une répétition de ce qui se passe en famille. Construire des hypothèses et les garder conscientes permet au thérapeute de ne pas se perdre dans les plaintes répétées, c’est-à-dire ne pas être happé par le contenu (ce qui se di t ) et repérer le processus (ce qui se fait sans pouvoir se dire). Le génogramme construit au fur et à mesure des séances nous aide à faire nos hypothèses pour nous représenter le monde dans lequel chacun a appris à (sur)vivre. Elles sont dans un monde irrationnel, l’émergence d’une certaine rationalité. Les émotions, divers ressentis sensoriels, corporels, et observations des comportements (cet ensemble faisant partie du processus) vont nous faire glisser dans un espace d’hypothétisation dynamique en fonction du déroulé de la scène en jeu dans l’ici et maintenant. Garder ces hypothèses conscientes évite au thérapeute de s’éparpiller à cause de l’urgence, le contenu, et retomber dans la confusion (un des signes cliniques de la dimension intergénérationnelle de la violence). Partager les objectifs de travail facilite la collaboration attendue.

GÉNOGRAMME

Nous allons illustrer ce propos en nous appuyant sur la situation vécue par la famille Ribambel. Cette famille est composée du père, Marcel, de la mère, Kyrielle, et de leurs deux fils, Axel âgé de 10 ans, et Armel âgé de 6 ans. La demande apparente concerne Armel dont les actes envers les autres sont toujours agressifs, « sans raison », incompréhensibles. Armé jusqu’aux dents, il collectionne des séries de « bêtises » : il a mordu son enseignant, lance sur ses camarades les objets qui lui tombent sous la main. A la maison il fait des crises de colère, a découpé aux ciseaux les chaussures en cuir de son père. Le matin, il refuse de s’habiller... à tel point que le père se sent « l’esclave de son fils ». Le génogramme de la famille Ribambel révèle que :

- Le père, Marcel, n’a eu comme attache sécure que sa luge, appelée « rosebud », confisquée à l’âge de 7 ans lorsqu’il est envoyé en pension. Ce moment est vécu comme un abandon, une des violences les plus puissantes pour un enfant.

- La mère, Kyrielle, s’est offerte en sacrifice pour pallier la dépression d’une mère restée seule après le départ du père. Elle a dû supporter la violence de son frère aîné.

- Père et mère, par des vécus distincts, se retrouvent comme englués dans leur histoire abandonnique non élaborée. Cette mémoire émotionnelle va interagir malgré eux avec Axel et Armel.

CONSTRUCTION D’UN ESPACE SÉCURE

Ces liens insécures (2) de toutes natures sont un des signes cliniques toujours présents. Ils rendent la confiance et l’alliance difficiles à construire et instables. Le premier objectif est la construction d’une enveloppe contenante pour les émotions. Lors de la première consultation de la famille Ribambel, une cascade d’accusations recouvre « l’enfant problème ».

- Thérapeute (3) : « Selon chacun d’entre vous, qui souffre le plus dans la famille aujourd’hui ?

- Le père (Marcel) se tourne vers sa femme : Je pense que c’est elle, elle est en première ligne à la maison, car je reviens tard. Cette remarque fait jaillir des larmes chez Kyrielle. Armel se calme, regarde sa mère et... court dans ses bras pour la consoler...

- La mère (Kyrielle), surprise : Ce geste de tendresse appartient plutôt à Axel, ce qui est source de rivalité entre eux. » Après discussion, chacun remarque que la souffrance est partagée. La première étape de cette thérapie sera la constitution d’une alliance thérapeutique en rendant possible le partage d’expériences émotionnelles correctrices autres qu’accusatrices qui font violence à Armel.

MISE EN PLACE DE L’ACCORDAGE

Dans ces situations de violence sourde, nous pouvons régulièrement observer des désaccordages. Deux niveaux d’accordage (4) peuvent être différenciés : l’accordage affectif et l’accordage empathique (5). S’accorder affectivement avec son enfant signifie partager des moments affectifs et émotionnels. S’accorder empathiquement signifie tenter de se représenter le monde dans lequel l’enfant vit. Ce qui implique une capacité de la mère à se décentrer d’elle-même. Le thérapeute a la responsabilité d’un engagement relationnel actif dans un effort d’accordage à la fois affectif et empathique. Ce dernier nécessite de se laisser embarquer dans le monde de la famille pour entrer dans leurs logiques. L’expérience émotionnelle devient correctrice (6) lorsqu’elle est accueillie, partagée et contenue. L’apparence de désynchronisation est le résultat de ce désaccordage empathique fondamental qui circule dans la famille et en particulier envers « l’enfant problème ».
En début de vie, ce travail d’accordage provient principalement des parents et va vers l’enfant. Dans la violence sourde, la présence de fantômes intergénérationnels fait obstacle à l’accordage empathique de la part des parents et l’accordage affectif devient le principal outil relationnel initié plutôt par l’enfant en direction des parents. L’enfant est seul, non contenu, d’où la violence de ses expressions émotionnelles perdues dans un vide affectif. Ce qui était une recherche d’accordage affectif devient une recherche de branchement émotionnel pour sortir d’une solitude fondamentale qui FAIT violence à l’enfant.

Nous sommes en présence de parents dissociés, traumatisés durant leur propre histoire d’enfant qui vont avoir plusieurs façons de fonctionner : soit en mode « apparemment normal » (7), moments durant lesquels nous pouvons penser qu’il peut y avoir un minimum de réponses ajustées, accordées aux besoins de l’enfant. Soit ils vont donner des réponses correspondant à leurs « parties émotionnelles » (8), lesquelles sont des réactivations de moments émotionnellement marqués dans leur histoire. Dans ces situations, les parents sont alors de « vieux » enfants. Leur enfant actuel, ici présent, n’existe plus. Il devient un espace de projection des histoires passées traumatiques. « L’enfant problème » que nous avons en séance est un enfant régulièrement en rupture de liens émotionnels et affectifs avec ses parents. On peut faire l’hypothèse qu’un accordage affectif est probablement possible sur ce registre « de fonctionnement apparemment normal » des parents et rompu régulièrement lorsque les « parties émotionnelles » des parents s’activent. L’accordage empathique chez ces parents n’existe peut-être jamais.

Le thérapeute doit expliciter sa compréhension du comportement de l’enfant qui est « accusé » d’être LE problème. Notre position est que l’enfant n’est qu’un metteur en scène, un porte-parole, un radar émotionnel en lien direct avec l’histoire transgénérationnelle contenue dans les émotions circulantes. La répétition de l’incohérence des éléments émotionnels, sensoriels, corporels, cognitifs et/ou comportementaux avec les situations immédiatement vécues font réagir l’enfant. Il y a une contradiction permanente entre ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il entend, ce qu’il perçoit et ce qu’on lui dit qu’il se passe. Cette incohérence perçue par l’enfant est l’expression des états dissociatifs des parents. Le comportement de l’enfant sert donc à la fois de barrage aux vrais…

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VÉRONIQUE COHIER-RAHBAN Psychologue et psychothérapeute. Supervisions individuelles et institutionnelles. Utilise la systémie, la psychanalyse, l’HTSMA, l’hypnose. Spécialisée dans les psychothérapies des traumatisations complexes. Plus d’une vingtaine de publications dans les revues « Thérapie familiale », « Dialogue », « Sexualités Humaines » et participation à des ouvrages collectifs.

 

Revue Hypnose Thérapies Brèves 66Hypnose & Thérapies brèves n°66

N°66 : Aout / Septembre / Octobre 2022

Dans ce n°66, nous verrons comment aider les personnes qui nous consultent à sortir des effets des histoires dissociatives dans lesquels elles sont enfermées. Le questionnement développé dans les thérapies brèves est une aide essentielle pour rendre possible l’activation des processus de réassociation.

Edito:
Julien Betbèze : Approche stratégique et acceptation de la solitude
Alain Vallée développe un exemple clinique nous montrant comment la conversation d’engagement ouvre de nouvelles possibilités d’agir chez un sujet présentant un diabète de type 2 et qui ne parvenait pas jusque-là, malgré les risques somatiques, à modifier sa relation à l’alimentation.

Spécialiste mondialement connu de l’approche stratégique, Giorgio Nardone explique l’importance de différencier trois manifestations différentes de la solitude. Il enseigne comment apprendre à être avec les autres, et le chemin vers l’acceptation de la solitude, acceptation nécessaire pour faire vivre une relation.

Véronique Cohier-Rahban poursuit sa réflexion sur la prise en charge des enfants soumis aux effets des violences intergénérationnelles. Elle nous montre comment Armel, enfermé dans le rôle « d’enfant problème », va se libérer de son rôle sacrificiel par le questionnement circulaire et la mise en place de relations de coopération dans la famille.

A travers le cas de Marthe, enfermée dans son monde de détresse et d’inquiétude, Arnaud Zeman décrit comment le thérapeute, en se mettant en lien avec ses ressources relationnelles, accueille ses ressentis corporels et ses affects pour construire un accordage avec un sujet prisonnier de son vécu dissociatif. Cet accordage est le premier pas vers un nouveau positionnement rendant possible le changement.

Le dossier thématique sur le lien thérapeutique se poursuit avec Karine Ficini qui nous fait part de l’histoire de Daniel, orphelin à l’âge de 4 ans, et dont les étapes de vie sont marquées par le pouvoir du monde abandonnique. Avec l’utilisation des mouvements alternatifs et de questions centrées sur la traduction corporelle de la confiance en soi, elle tisse un nouveau lien humain qui génère une nouvelle action signifiante pour le sujet.

Bertrand Hénot utilise le questionnement narratif et solutionniste pour aider Louis à modifier son regard sur les services sociaux et sur lui-même, afin de réinvestir son rôle de père et se mettre en chemin pour retrouver la garde de son fils.

Dans l’espace « Douleur Douceur », Gérard Ostermann nous présente trois articles sur l’apport de l’hypnose en gériatrie.

Sarah Muller, dans son article sur les conversations hypnotiques en psychogériatrie, nous raconte comment Mme D. qui présente un diagnostic de Démence fronto-temporal, intègre l’Ehpad à 92 ans, suite à une chute, et va bénéficier d’un accompagnement complet à la toilette, effectuée au lit.

Véronique Treussier-Ravaud expose le cas clinique de Mme L.F. patiente âgée qui souffre de troubles cognitifs sévères. Une séance d’hypnose pendant sa toilette, avec ancrage musical et techniques apaisantes, a pour bout de la réinstaller dans un état de bien-être.

Blandine Rossi-Bouchet, orthophoniste, nous explique comment elle utilise l’hypnose dans sa pratique quotidienne auprès des personnes âgées.

Dans la chronique « Bonjour et après », vous trouverez les premières consultations d’Elisabeth qui noie son ennui dans l’alcool. Sophie Cohen utilise le questionnement stratégique et l’hypnose pour aider la patiente à quitter ses tentatives de solution.

Enfin, Nicolas D’Inca nous livre un article passionnant sur le chamanisme et les animaux de pouvoir pour retrouver les liens au monde vivant.

Crédit photo Jean-Michel HERIN