Construire un cadre familial sécure. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 65

CONSTRUIRE UN CADRE FAMILIAL SÉCURE
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Mady FAUCOUP GATINEAU
TLMR (1) ET AUTONOMIE DE L’ENFANT

L’enfant rebelle au sein de la famille ne doit pas porter tout le poids de la plainte. Le retour à une certaine harmonie passe par une thérapie familiale pour que chacun retrouve sa place, ses repères et des liens « sécures ».

Travailler avec une famille dans laquelle un jeune enfant ne respecte pas le cadre familial est difficile, ce non-respect bloquant l’évolution de l’enfant et l’installation d’une ambiance chaleureuse et sereine. Pour sortir de ces situations difficiles, je propose depuis quelques années une démarche « stratégique- éducative » afin que chacun puisse se sentir « sécure » et à sa place.

Comment instaurer une position d’autorité compétente et cohérente chez les parents ? Il s’agit de passer d’une plainte dirigée vers l’enfant à une thérapie familiale.

Tout va se faire en présence des parents, de l’enfant, voire de tous les enfants. En réalité, sous couvert de remettre un cadre en réinstaurant les règles, l’enfant va servir de modèle pour une meilleure harmonie familiale. La thérapie vise à repositionner la place de chacun dans la famille, à remettre de la complicité et du lien dans le couple et à apporter de la sécurité à tous les enfants, même ceux qui semblent moins concernés. Les règles sont communes à tous les membres de la famille (parents inclus). Cette démarche est plus aisée pour les enfants de moins de 10 ans. Après, il faudra travailler directement sur la problématique familiale. Quoi qu’il en soit, elle n’est pas rigide, elle sert de colonne vertébrale à un travail créatif permettant à la famille de retrouver des sentiments partagés en séance, puis ensuite de recréer du lien.

THÉO, UN REBELLE DE 5 ANS

Théo, 5 ans, vient en consultation avec ses parents. Il présente des comportements de rébellion manifestes et fréquents. Il occupe sans cesse l’espace familial ce qui met toute la famille en difficulté. Il a un frère et une soeur, beaucoup plus grands, qui ne sont pas venus. - J’explique à Théo : « Je vais demander à tes parents de faire quelque chose pour que ça aille mieux dans la famille, et je te remercie d’être là pour les aider ensuite à bien faire leur travail de parents. » (Une façon de l’impliquer sans rien lui demander, et sans se focaliser sur lui comme étant le problème.) - Je lui précise : « Tu pourras aller dessiner ou jouer ou rester là, comme tu veux… » La thérapie amène ensuite chacun à établir un objectif. Théo manifeste clairement qu’il n’a pas envie d’être là, il gesticule, fait du bruit et interrompt sans cesse ses parents. Je m’adresse d’abord aux parents, car leur réponse pourrait lui faire tendre l’oreille.
- Maman : « Je voudrais tant qu’il se calme.
- Thérapeute : Qu’est-ce que cela changera chez vous ?
- Maman
: Je serai plus patiente avec Théo, je m’énerve tout le temps et parfois pour pas grand-chose.
- Papa :
J’aimerais être capable de mieux faire avec lui, moi aussi je suis décontenancé et je deviens souvent violent, ça ne me plaît pas du tout, je n’étais pas comme ça avec les grands.
- Th.
s’adressant à Théo : Tu es venu parce que tes parents t’ont dit de venir, maintenant imagine que ça change quelque chose, qu’est-ce que tu aimerais qu’il se passe ?

- Théo :
Rien (ton maussade).
- Th. :
Je te remercie encore d’être venu pour rien, juste parce que tu as fait con - fiance en venant avec tes parents. Il lève les yeux, surpris, intéressé, c’est déjà une réponse. (Ce qui compte c’est que chacun soit là pour quelque chose même si ça ne le paraît pas.) Je vais leur demander ensuite quel ressenti cet objectif amènera, d’y réfléchir d’abord puis de me le dire. Le plus souvent cela se rejoint.
- Maman : Je serai sereine, et plus sûre de moi.
- Papa :
Oui, pareil, plus tranquille, je ne me poserai plus mille questions.
- Th. :
Et toi Théo, tu penses que d’être venu ici avec tes parents et qu’ils fassent quelque chose pour que ça aille mieux, ça fera quoi chez toi ?
- Théo
(il me regarde, visiblement intéressé par la question, puis embarrassé) : J’sais pas. » (Il est petit pour répondre à cette question mais je lui montre que je prends également en compte son ressenti.) Je demande ensuite aux parents d’évaluer dans leur tête ce ressenti, sur une échelle de 0 à 10, dans ce qu’ils vivent actuellement dans leur vie quotidienne, puis de me le montrer quand le chiffre est bien présent. J’utilise l’écartement des mains, que je fais devant eux, en montrant à 10 et à 0, ce qui constitue déjà une première induction de transe sur l’objectif. Ils me montrent chacun un petit écartement équivalent à 3. Ça se rejoint sur le ressenti et l’évaluation. (C’est déjà un premier point de rencontre entre eux qui crée une émotion de part et d’autre et qui va amener Théo à être plus attentif à ce qui va suivre.)

APPRENTISSAGE DES RÈGLES

Nous passons à la deuxième phase. En conversation hypnotique, et avec quelques métaphores (2), je dis d’un trait ceci aux parents : « Vous allez vous réunir tous les deux sans vos enfants, et établir une à trois règles maximum dites “incontournables”. » (Je parle pour toute la famille, même si les deux autres enfants ne sont pas présents, les règles sont valables pour tout le monde.) « Vous allez décider ensemble, sans les enfants, de vous mettre d’accord, parce que quand un enfant n’obéit plus, c’est comme s’il roulait sur une route enneigée, il ne voit pas les bords et il file sans cesse sur le côté. Il se met en danger. Il a besoin qu’on lui apprenne à conduire et qu’on lui déblaie les bords. Il risque, quand l’énervement sera là, ce qui est compréhensible, de subir une réaction de votre part, des cris ou des coups, et que ça lui fasse mal, et ça vous fera mal aussi, vous aimez votre enfant, vous ne voulez pas lui faire subir ça. » (Je parle lentement, ton plus bas, avec des pauses, et je regarde en aparté, Théo écoute.)

Je continue : « Et vous les parents, la fatigue vous prend de plus en plus, de répéter tout le temps dix fois les mêmes choses... et en même temps, comme l’énervement augmente, plus rien ne va, même le chausson qui traîne ! Vous avez besoin que la tranquillité revienne et vous seuls savez ce qui est important dans la vie de la famille pour que ça fonctionne, ce que vous voulez qu’il se passe pour que vos enfants grandissent et deviennent adultes, en lien avec vos valeurs profondes. Vous savez protéger votre enfant, vous savez ce qui est bon pour lui, vous allez reprendre les commandes et vous allez lui apprendre comment faire. Alors, vous allez vous concentrer sur ces quelques règles à faire respecter. Vous allez décider ensuite d’une “conséquence” pour chaque règle si elle n’est pas respectée. Autant que possible cette conséquence doit être en rapport avec la règle, comme de faire une pause et de s’excuser, par exemple, sinon cela peut être aussi une punition. Une règle qui n’est pas respectée n’est pas valide, donc s’il n’y a pas de conséquences au non-respect d’une règle, la règle n’existe pas. On ne peut pas demander à un enfant d’avoir envie de l’appliquer, s’il peut la contourner pour son propre plaisir, il le fera. Pourquoi le mot conséquence ? Parce que quand on respecte les règles, on les oublie et du coup les conséquences deviennent agréables : meilleure entente, meilleure ambiance dans la famille, envie de faire des choses ensemble... Ensuite, vous allez organiser une réunion de famille avec tous les enfants et vous allez dire : “votre maman (votre papa) et moi, voilà ce nous avons décidé...” Et vous expliquez aux enfants les règles et les conséquences. Puis vous commencez tout de suite à l’appliquer. Quand un problème survient en lien avec la règle, vous direz “rappelle- toi ce qu’on a dit”, pour lui laisser une chance de choisir ce qu’il veut, puis vous appliquez sans commentaire la conséquence s’il continue à la transgresser. Il va vous falloir beaucoup de rigueur, ne pas lâcher prise, car votre enfant s’engouffrera dans la brèche et mettra en échec le dispositif, chassez le naturel, il revient... Bien sûr, il ne s’agit pas de mettre de la rigidité dans votre vie de famille, mais au contraire de la souplesse, car à terme, quand les règles seront intégrées, vous n’aurez plus besoin d’en parler sans cesse. C’est pour cela qu’il ne faut pas déterminer trop de règles, et pour le reste vous pouvez accepter d’être plus souples, comme le chausson qui traîne, par exemple...Cette démarche a pour but de permettre à votre enfant de savoir d’avance le prix à payer, il ne sera pas surpris par une réaction qui pouvait être aléatoire et changeante auparavant : une fois la grosse punition, une autre fois vous passiez dessus, parce que vous vouliez lui mon - trer aussi que vous l’aimiez. C’est une autre

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MADY FAUCOUP GATINEAU
Psychothérapeute installée en libéral à Nantes. Formée aux thérapies brèves : Palo Alto, hypnose ericksonienne, thérapie orientée solution, stratégique et narrative. Formée à la TLMR (ex- HTSMA) : Thérapie du lien et des mondes relationnels, conçue et développée par le Dr Eric Bardot, psychiatre et psychothérapeute à Nantes. Formatrice en hypnose et en HTSMA à l’Institut Mimethys de Nantes.


 

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 65Sommaire de ce n°65 Mai, Juin, Juillet 2022:

Julien Betbèze, rédacteur en chef, éditorial : « Créer des liens »

. Jean-Marc Benhaiem nous invite à ne pas nous focaliser sur le symptôme mis en avant dans la demande thérapeutique : il s’agit plutôt de chercher à mobiliser l’énergie bloquée dans d’autres symptômes apparemment secondaires, et ainsi de désorganiser les rigidités pathologiques et amener le changement. Une clinique pleine de sagesse !

Sophie Tournouër utilise le questionnement centré solution pour défaire les addictions sexuelles conjuguées à la prise de produits psychoactifs. Le déroulé du verbatim nous permet de saisir la logique interne aidant les individus à se libérer de cette pratique asservissante du « chemsex ».

. Mady Faucoup Gatineau nous prend par la main pour rencontrer Théo, un rebelle de 5 ans qui fait sa loi et sème la zizanie dans la famille. Nous découvrons l’utilité de la TLMR (thérapie du lien et des mondes relationnels) pour construire un cadre familial sécure dans lequel chacun va pouvoir retrouver sa place.

Dossier thématique : Histoires et métaphores

. Alicia Mangeot nous raconte des métaphores « sur mesure », favorisant ainsi des changements de comportement en rapport avec les intentions relationnelles des patients. Elle nous donne plusieurs exemples d’utilisation stratégique de métaphores (bibliothèque, cercles relationnels, mille-pattes) favorisant la coopération dans la séance, et la réalisation des tâches indirectement proposées.

. Virginie Serrière exprime une grande finesse dans son appropriation du questionnement narratif : à travers l’animation d’ateliers d’écriture, elle témoigne de la possibilité pour chacun de redevenir auteur de sa vie.

. Marie-Clotilde Wurz-de Baets nous montre sa créativité dans l’utilisation du langage métaphorique pour induire une transe de réassociation chez une jeune femme confuse après une rupture sentimentale.

. Espace douleur douceur

. Gérard Ostermann, éditorial : « Autour de la douleur »

. Stéphane Graf nous montre l’importance de ne pas se focaliser sur le symptôme mis en avant dans la plainte, mais d’intégrer la douleur dans l’unité corporelle.

. Stéphanie Delacour, dans un cas de dyspareunie, met aussi en évidence la pertinence de ne pas centrer la thérapie sur le symptôme, et de percevoir le lien entre la douleur et la rupture d’homéostasie. Grâce à sa prise en charge et à la remise en place de compétences émotionnelles et relationnelles, la patiente va retrouver une vie plus sécure avec une nouvelle relation à son corps.Dans cette période de sortie de la Covid, où les salles obscures se remplissent à nouveau, Sophie-Isabelle Martin et David Simon revisitent pour nous la technique de la salle de cinéma pour travailler avec des patients douloureux ayant très peu de protection. Les interactions sont très bien décrites, avec les multi-dissociations permettant de travailler en sécurité. Un exemple clinique illustre cette pratique avec pédagogie pour que chacun puisse s’approprier cette technique.

. Sophie Cohen expose un cas de bruxisme lié à des croyances limitantes autour des combats de la vie. Après une régression en âge, la patiente pourra retrouver son regard émerveillé de petite fille devant la photo d’une forêt et retrouver ainsi calme intérieur et détente.

. Christine Allary nous emmène en mission humanitaire et nous fait partager la conduite d’une séance d’hypnose faite en traduction simultanée avec le chirurgien. Elle décrit avec précision les effets de cette technique novatrice et fédératrice pour les participants.

. Serge Sirvain décrit une situation clinique émouvante dans laquelle il est amené à mettre en place une sédation terminale chez une patiente de 93 ans atteinte d’une tumeur digestive invasive. Il explique comment la position de non-savoir et l’imaginaire partagé autour d’une métaphore culinaire vont accompagner un endormissement terminal apaisé et en relation.

Et nos rubriques

. Nicolas D’Inca : culture monde « Une perceptude venue du désert ».

. Adrian Chaboche : Les champs du possible « Un lâcher de ballon bien étrange ».

. Sophie Cohen, nouvelle rubrique : bonjour et après « Clémentine et la chaleur qui fait fondre la plaque ».

. Stefano Colombo et Muhuc : Quiproquo… « Métaphores »

Crédit Photo: © Caroline Manière