Les grand entretiens : Alain Vallée interviewé par Gérard Fitoussi.

Alain VALLEE et Gérard FITOUSSI
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Médecin psychiatre, psychothérapeute systémicien, Alain Vallée enseigne l’hypnose et les thérapies brèves dans divers instituts français et européens. Fondateur de l’ARePTA-Institut Milton Erickson de Nantes, il a publié le Manuel pratique de thérapie orientée solution (Satas, 2017) et évoque ses belles rencontres avec des auteurs comme Spinoza ou Swami Prajnanpad.



Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel ?

Alain Vallée : Je suis né dans un environnement familial d’enseignants. Même si mes parents sortaient traumatisés de la guerre, je bénéficiais d’un environnement intellectuellement favorable. Une mère musicienne, un père polyglotte, des livres à lire : il n’en fallait guère plus. Jusqu’à 8 ans, personne ne m’a jamais demandé mon nom et j’ai été tellement surpris d’avoir à répondre à cette question lorsque la famille a déménagé en ville pour favoriser les études des enfants. Là, j’ai découvert un autre monde. La misère y était moins verte ; les pauvres n’avaient plus que des tôles et des boîtes de conserve déroulées pour leur servir de toit. Néanmoins, j’aimais bien accompagner mon père dans les visites qu’il faisait chaque jour aux plus démunis. J’ai grandi ainsi, baigné dans cet environnement, les voyages dans l’Europe détruite par la guerre, et une éducation que je pourrais qualifier de romaine : « Qui bene amat, bene castigat ». Les mythologies grecques et romaines, l’histoire romaine étaient la Bible de mon enfance. La légende dit que j’étais un enfant précoce et mes parents ont dû insister auprès des enseignants du collège pour que je ne dépasse pas les deux années d’avance, lesquelles m’ont donné l’occasion de perdre un peu de temps plus tard. J’ai donc grandi ainsi, peu travailleur et curieux de toutes sortes de sujets à la condition qu’ils ne soient pas obligatoires. Heureusement, certains professeurs m’ont ouvert l’esprit, notamment Jean Baechler, à l’époque professeur d’histoire-géographie, avant de devenir un sociologue professeur au Collège de France et auteur de son ouvrage majeur sur le suicide. J’avais observé que mon frère et ma soeur avaient, de mon point de vue, gâché leur jeunesse dans les classes préparatoires aux grandes écoles, et j’ai tout fait pour éviter le destin pré-tracé de Polytechnique. La date limite étant dépassée, il ne me restait plus qu’à m’inscrire en médecine : « Même d’un âne on peut faire un médecin », a conclu mon père en citant Plaute, je crois. Ça m’allait bien.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous orienter vers la médecine ?

Pour la médecine, j’avoue que j’allais quelquefois passer les examens avec la honte de n’y avoir consacré qu’une ou deux journées. Bref, j’étais reçu sans rien connaître. Sauf la pratique. J’adorais les stages hospitaliers, les stages d’externe que je choisissais non pas avec le critère du renom, mais avec celui de la possibilité de pratiquer qui pourrait m’être déléguée. Pendant une longue période, je participais en tant qu’aide-opératoire aux premières greffes de rein, et je m’étais quasiment destiné à choisir cette voie, jusqu’à ce que la rencontre d’autres chirurgiens me fasse comprendre que leur fréquentation ne pourrait pas nourrir longtemps ma curiosité intellectuelle. J’avais donc fait médecine pour ne pas faire polytechnique, j’ai essayé de m’orienter vers la chirurgie pour ne pas tomber dans la médecine déshumanisée que j’exécrais, j’ai fini par faire psychiatrie pour ne pas faire chirurgie. En quelques semaines, j’avais appris tout ce qu’il y avait besoin de savoir pour faire le psychiatre hospitalier : poser un diagnostic, apaiser l’ambiance du service avec les médicaments de l’époque. Heureusement que, à côté, il y avait les rencontres permises par la faculté de lettres. C’est ainsi que j’assistais émerveillé à des enseignements brillants de Félix Guattari (philosophe), Marie-Cécile Ortigues (psychanalyste), Jean Gagnepain (linguiste), Mário Soares (écrivain et président du Portugal). Parallèlement, je suis devenu interne en psychiatrie. Sans doute étais-je trop influencé par la psychanalyse pour pouvoir profiter pleinement de l’enseignement de mes maîtres de stage. Les seuls qui m’ont marqué l’ont été pour leur humanité. Parallèlement, je rencontrais Piera Aulagnier et Maud Mannoni. Elles ont marqué ma pensée et aussi mon action. Toutes les deux critiquaient l’importance de la théorie. « La théorie comme fiction », écrivait l’une ; « Quand l’hypothétique de l’hypothèse suffit à en assurer la validité », écrivait l’autre. Ne jamais croire ce que j’entendais. Les années passant, tout en commençant à pratiquer la psychanalyse, j’ai passé le concours de praticien hospitalier. J’ai dépensé beaucoup d’énergie à faire bouger les lignes de l’hôpital psychiatrique, souvent en vain. Néanmoins, j’ai réussi à créer un service d’accueil familial thérapeutique.

Parlez-nous de votre rencontre avec Jacques-Antoine Malarewicz ?

Jacques-Antoine Malarewicz est venu assurer des formations à Nantes. Avec lui, j’ai appris l’importance du jeu, de l’humour, du mouvement. Lire Jacques- Antoine sans le regarder travailler n’a aucun intérêt. Ceux qui veulent profiter de son enseignement doivent le mettre en situation de travailler devant eux avec des patients. Contentez-vous de lire son Cours d’hypnose clinique à la condition de mettre entre chaque phrase la joie, l’humour et la liberté de l’homme. Pendant quelque temps, j’ai mené parallèlement les deux pratiques jusqu’à ce qu’un célèbre psychanalyste me dise : « Vallée, ce que vous faites ce n’est pas de la psychanalyse, c’est de la psychothérapie ! » Il m’a libéré... Le fait d’imaginer les problèmes résolus, l’attention portée à ce qui marchait bien, malgré tout, l’apprentissage de la négociation apaisée, l’attente tranquille que le corps retrouve son équilibre, ont considérablement modifié ma vision du monde.

Quelles ont été vos autres rencontres importantes ?

J’ai pu rencontrer localement Julien Betbèze, Eric Bardot, Wilfrid Martineau, tous différents, tous créatifs, et qui m’ont tellement amené. Je peux dire que nous avons « grandi ensemble » et que sans eux ma vie eût été complètement différente. Au Québec, j’ai rencontré Michel Kerouac dont la pensée était plus simple à l’époque. J’ai aussi rencontré Ernest Rossi et André Weitzenhoffer qui, chacun à leur manière, m’ont beaucoup marqué. Grâce à mes amis, j’ai pu connaître l’EMDR et les diverses formes de thérapie brève. Dans ce monde, les personnages qui m’ont le plus marqué ont été Steve de Shazer et Insoo Kim Berg. La fermeté de la posture d’un côté, la fermeté dans l’attitude souriante d’un autre. Encore une fois, c’est le fait d’avoir observé ces différents personnages en lien avec des patients réels qui nous a tellement appris. Même si vous lisez Peur, panique, phobies, vous ne pourrez pas saisir que l’essentiel du travail de Giorgio Nardone a lieu pendant la rencontre thérapeutique, et non pas dans l’exécution des tâches qu’il préconise.

Que vous ont apporté les multiples approches que vous utilisez avec les patients ?

Pour moi, les thérapies brèves et la thérapie narrative ne sont que de l’hypnose conversationnelle sophistiquée. L’arrièreplan est le point de vue systémique : il n’y a pas de folie, il n’y a que des relations folles. Ce n’est pas tant la technique qui soigne que la relation. Mais la technique est nécessaire pour permettre la relation. Tout le monde ne s’appelle pas François Roustang pour entrer directement en contact par sa présence. Beaucoup d’entre nous ont besoin d’un long apprentissage pour pouvoir, enfin, nouer une relation intense avec les patients. Au-delà de cela, il y a peut-être quelques petites différences d’indications, mais elles ne sont pas très importantes.

Vous avez aussi une pratique de formateur, pouvez-vous nous en dire plus ?

Une autre question est celle de la transmission. Pour moi, c’est aussi un grand plaisir. Bien au-delà de celui de transmettre une technique, c’est celui d’amener un nouveau regard sur le monde, la vie, la manière de faire face aux événements. Je ne sais pas ce qui fait qu’un enseignant va être apprécié ou pas. C’est peut-être une affaire de charisme. C’est aussi beaucoup une affaire de travail, de clarification de la pensée. Je ne crois pas que j’aurais pu avoir des idées claires si je n’avais pas enseigné. Il est possible qu’un bon enseignant soit celui qui peut prendre le risque de se jeter à corps perdu dans la relation tout en restant suffisamment vigilant pour en respecter le cadre.

Que représente l’hypnose pour vous ?

La question est posée de ce que l’hypnose est pour moi. J’ai déjà répondu que c’était la communication intense. Elle a toute sa place dans le champ de la thérapie en général, que ce soit celui de la médecine ou de la psychothérapie. Je pense aussi que le mot « hypnose » est mauvais car il définit une spécialité alors que tous les soignants devraient être concernés par la bonne communication. D’ailleurs, tous nos savoir-faire sont beaucoup plus efficaces pour réduire la souffrance que pour modifier les symptômes. Néanmoins, cette formation à la relation doit avoir une reconnaissance. Au-delà des diplômes universitaires, il y a la place suffisante dans le répertoire des métiers.

Quel est le point commun de vos enseignements ?

J’ai été amené à enseigner l’hypnose en général, l’hypnose avec des mouvements alternatifs (HMA), une forme d’hypnose minimaliste qui est nommée hypnose d’acceptation, ainsi que les thérapies brèves. Quel est le point commun de toutes ces pratiques ? Elles proposent des réflecteurs destinés à provoquer des changements au niveau du corps vécu, permettre le retour d’un équilibre, d’une sensation d’équilibre. Celle-ci, en retour, va changer la perception globale de la situation, et donc les modes d’adaptation. Ces réflecteurs sont très variables. Ce peuvent être des images, des métaphores. Ce peuvent être aussi des valeurs comme le propose la thérapie narrative. Ce peuvent être encore des représentations idéales comme la question miracle peut les amener. Un des éléments importants que je défends est le toucher. A quoi bon perdre du temps à enseigner l’induction à des médecins généralistes alors que toute personne qui accepte d’être examinée corporellement doit préalablement se mettre en transe pour accepter l’intrusion de l’autre dans son espace de sécurité ? Ils ont simplement à apprendre à reconnaître les indices de transe et à les utiliser.

Quelles lectures vous ont particulièrement marqué et que vous recommandez à nos lecteurs ?

La lecture qui m’a le plus appris à ce sujet est celle de Swami Prajnanpad, un gourou hindou dont beaucoup d’enregistrements nous sont parvenus, qu’ils soient en français ou en anglais. Une seule phrase : « Laisse s’écouler la sensation de l’émotion. » Elle a été un bouleversement dans ma vie professionnelle et personnelle. Se contenter de « faire rien ». Non pas « ne rien faire ». Il s’agit de choisir de « faire activement rien », ce qui est très difficile à faire soi-même et qui n’est pas simple à apprendre non plus aux autres. Une fois cette connaissance acquise, elle ne se perd plus. Ceci m’amène aussi à parler de l’influence exercée sur moi par l’oeuvre de Spinoza et celle de Robert Misrahi. Il faudrait aussi parler de nombreux autres : Hannah Arendt, Jacques Ellul... Et encore, si on doit citer des ouvrages : Piera Aulagnier, La violence de l’interprétation (Puf) ; Milton H. Erickson, L’hypnose thérapeutique : Quatre conférences (SF) ; Jacques- Antoine Malarewicz, Cours d’hypnose clinique (ESF) ; Giorgio Nardone, Peur, panique, phobies (L’Esprit du temps) ; Swami Prajnanpad, Ceci, ici, à présent : Seule et unique réalité (Accarias/L’Originel) ; François Roustang, Qu’est-ce que l’hypnose ? (Editions de Minuit) ; Steve de Shazer, Les mots, à l’origine, étaient magiques (Satas) ; Baruch Spinoza, Ethique (Le Livre de poche) ; Balthasar Thomass, Etre heureux avec Spinoza (Eyrolles).

Comment partagez-vous votre temps actuellement ?

Depuis quelques années, je travaille moins tant en consultations qu’en tant que formateur. Ceci me laisse le temps de lire et de naviguer le plus possible. Pour ce faire, je me suis installé à Pornic, au bord de la mer et tout près du port où est amarré mon voilier. Pendant de nombreuses années j’ai exercé les fonctions de président de l’ARePTA-Institut Milton Erickson de Nantes après l’avoir créé. Depuis quelques mois, j’ai pris un peu de recul et ne suis donc plus qu’administrateur. Outre quelques journées de consultations, j’enseigne dans différents instituts et DU, et également dans la formation continue médicale. Je suis l’auteur d’un livre, Manuel pratique de thérapie orientée solution, paru aux éditions Satas.




GÉRARD FITOUSSI
Président de l’European Society of Hypnosis. Président de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’Hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau. 

ALAIN VALLÉE
Fondateur et past-président de ARePTA-Institut Milton Erickson de Nantes, ancien psychiatre des hôpitaux. Il pratique maintenant la psychothérapie et l’enseignement. Chargé de cours dans différents diplômes universitaires, il enseigne également l’hypnose et les thérapies brèves dans plusieurs instituts européens.


Revue Hypnose Thérapies Brèves 64

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N°64 : Février, Mars, Avril 2022


Edito – Julien BETBÈZE

Claire ROSSIN – Autohypnose et TOS chez l’enfant anxieux
L’auteure explique comment Noé, 7 ans, souffrant de troubles du sommeil, a pu s’approprier rapidement les outils proposés au cours de la thérapie (7 séances sur 5 mois) et les réinvestir au quotidien pour atteindre une autonomie dans la résolution de ses difficultés.

Séverine LEJEUNE – Ces histoires qui nous façonnent
L’auteure, pédopsychiatre, nous propose de partager les lettres écrites aux parents, enfants et adolescents, lettres inspirées par les thérapies narratives et qui ont servi de support pour ses appels téléphoniques aux familles pendant le confinement.



Stéphane OTTIN PECCHIO – Etats de conscience de l’hypnose musicale à l’hypnose artistique. Cet article analyse les états de conscience hypnotiques du point de vue du musicien ou de l’auditeur dans différentes situations : concert classique ou concert-thérapie, séance individuelle ou autohypnose.



.Guy MISSOUM – Success story et entraînement mental. L’auteur explique comment aider le patient à combattre le manque de confiance en soi avec différents moyens qui passent tous par une indispensable connaissance de soi.

Espace Douleur Douceur - Gérard OSTERMANN – Edito

.Mireille SÉJOURNÉ – Troubles digestifs, hypnose et acupuncture. Gynécologue à la pratique enrichie d’une formation en acupuncture et en Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), l’auteure nous propose une approche qui combine hypnose et MTC appliquée aux troubles digestifs. Clair et simple, le script détaillé dans l’article et appelé ''Harmonie du Papillon'' peut être refait par le patient chez lui, régulièrement.

.Anne SURRAULT – Une parenthèse enchantée avec Gustave. Récit d’une séance de thérapie narrative : carte de l’externalisation. La patiente est venue consulter initialement suite à un conflit conjugal...



.Rachel REY – Anxiété infantile au bloc opératoire. Travaillant depuis quinze ans comme infirmière anesthésiste au bloc opératoire de l’Hôpital d’enfants à Nancy, l’auteure a notamment constaté que murmurer des histoires à l’oreille des enfants à l’induction se révélait extrêmement efficace, car pour entendre sa voix l’enfant doit cesser de pleurer et de se préoccuper de l’agitation ambiante.

Dossier : S’éloigner de la dépression
.Frédéric BERBEN – Prévention de l’épuisement professionnel
Les approches intégrées de méditation, d’hypnose, de mouvements psycho-corporels permettent une liberté dans l’endroit où le thérapeute-formateur va poser le levier pour générer un changement. La pluralité des outils autorise davantage de points d’appui adaptés aux différences individuelles des professionnels.



.Nelly CADRA – Métaphores et deuil
Léa, 15 ans, vient consulter suite au décès brutal de son père. En ressort le récit de trois séances avec les métaphores utilisées par la pédiatre : le gouffre sans fond ; le tilleul et le chêne ; la souris, le lapin et les elfes.



.Jean-Pierre BOYER – Quels petits mieux pour sortir de la dépression ?
 Depuis vingt ans l’auteur lie hypnose et approche solutionniste. Il détaille ici la méthode avec pour exemple Geneviève, 35 ans, déprimée, agressive, insomniaque et sujette à des troubles des conduites alimentaires. La « Question Miracle » est bien entendu au centre de l’entretien.

Rubriques
. Les champs du possible :
Adrian CHABOCHE – ''Docteur, j’ai enfin échoué !''
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Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : Stefano COLOMBO et MUHUC – Epuisement professionnel...
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Les grands entretiens : Gérard FITOUSSI – Interview de Alain VALLÉE
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Culture Monde : Nicolas D’INCA – Les guérisseurs touaregs.