Réglementer la pratique de l’hypnose.
Entretien avec Gérard FITOUSSI, Président de la CFHTB.
- Bonjour Docteur Gérard Fitoussi ! Vous êtes le nouveau président de la CFHTB depuis janvier 2020, et vous avez publié un Livre blanc. Pouvez-vous nous en parler et nous dire en quoi il est important ?
- Gérard Fitoussi : Je vous remercie de nous ouvrir les colonnes de cette Revue, que je connais bien par ailleurs, et vous avez tout à fait raison de focaliser votre première question sur la publication du Livre blanc.
Si vous le permettez avant de répondre, j’aimerais faire deux détours, le premier sur ce qu’est un livre blanc et le second sur sa gestation.
- Qu’est-ce qu’un livre blanc ?
- C’est un document qui a pour objet de faire un état des lieux d’un domaine souvent complexe, de préciser les grandes lignes qui ont présidé à sa réalisation, de présenter cet état des lieux de façon concise et référencée et de l’adresser à divers interlocuteurs pour faciliter la prise de décision. C’est bien le cas de ce Livre blanc. Il fait le point sur le champ de l’hypnose en 2020, il en précise les divers domaines d’interventions, les modalités de la formation, les acteurs qui interviennent, et il fait dix recommandations. Le second détour que j’aimerais faire est celui de sa gestation. Il me paraît important d’indiquer que rien n’aurait été possible sans l’investissement de nombreux acteurs qui ont initié, porté ce projet. Patrick Bellet a été à l’initiative, d’abord des Etats généraux de la CFHTB, qui ont eu lieu les 23 et 24 novembre 2018 à l’université Paris-Diderot, puis de la réalisation du Libre blanc. A l’issue de ces Etats généraux, une équipe de rédacteurs s’est constituée autour de Joëlle Mignot qui a été la cheville ouvrière et la coordinatrice du Livre blanc, tâche difficile qu’elle a menée avec brio avec Régis Dumas, qui était alors président de la CFHTB. Tous deux ont pendant plus d’une année porté ce projet avec détermination et constance pour permettre à ce Libre blanc d’être disponible.
- Que contient-il précisément ?
- J’aimerais évoquer trois points qui me paraissent importants : la préface du Professeur Jacques Kopferschmitt, président du CUMIC ; le texte proprement dit du Livre blanc ; et les 10 recommandations.
La préface Le soutien du Collège universitaire de Médecine intégrative est très important pour renforcer l’initiative prise par la CFHTB. Dans le trépied que constituent la science, l’éthique et l’humanisme, la science occupe un rôle clé. On connaît les conséquences de la commission nommée par Louis XVI et qui aboutit à disqualifier, non pas les résultats proclamés par Mesmer, mais la théorie dont il se prévalait. La disqualification a eu une portée énorme. En dépit de la résurgence de loin en loin de l’hypnose, commission Husson ou plus tard intervention de Charcot, cette disqualification, dans les milieux officiels tout au moins, s’est prolongée jusqu’au début du XXe siècle. Il a fallu les premiers travaux scientifiques aux Etats- Unis de Hull, dans les années 1930, puis de Hilgard, pour que l’hypnose retrouve du crédit au sein des milieux académiques. Il y a encore peu, dire que l’on faisait de l’hypnose ne vous faisait pas bien voir de vos collègues. Bien heureusement, les temps ont changé mais nous devons être attentifs à conserver et développer une approche fondée sur les apports des chercheurs et des scientifiques. Elle est indispensable pour que nous, cliniciens, puissions faire un travail de qualité. C’est la raison pour laquelle l’appui du CUMIC nous apparaît comme essentiel et je remercie le Professeur Kopferschmitt de ce soutien.
Le texte Il rappelle tout d’abord que ce document est le résultat d’un travail collectif, celui de tous les instituts membres de la CFHTB et d’experts reconnus. Il souligne la nécessité de réguler le désordre qui règne dans les formations et les prises en charge de la santé de nos concitoyens par des « hypnothérapeutes » qui ne font pas toujours la différence entre la connaissance de l’outil qu’est l’hypnose, dont l’apprentissage est relativement rapide, avec la compétence professionnelle, qui relève elle d’une formation longue, dans le cadre d’un cursus souvent universitaire. Etre « hypnothérapeute » ne donne pas la formation nécessaire pour effectuer un diagnostic et assurer le suivi médical. Sans cette étape initiale, on peut mettre en danger des patients par des prises en charge inadaptées.
Les 10 recommandations Les pouvoirs publics doivent contribuer à améliorer et réguler en France la pratique et la formation de l’hypnose sur des critères scientifiques et éthiques, en se souciant de l’amélioration de la qualité des soins et du respect des usagers. Par ailleurs, des études, à compléter, ont mis en évidence les économies de santé importantes qui pourraient être générées par une utilisation plus régulière de l’hypnose dans les domaines de l’anesthésie, de l’encadrement des examens complémentaires, du traitement de la douleur, ou des soins palliatifs, pour ne prendre que ces indications. Je n’entrerai pas dans le détail de ces 10 recommandations, mais j’invite vos lecteurs à se procurer le Livre blanc qui est disponible en format PDF sur le site de la CFHTB.
J’insisterai cependant sur trois points :
- Crédibiliser et mieux faire reconnaître les champs de l’hypnose de soin aux pouvoirs publics et décideurs institutionnels.
- Développer une stratégie nationale pérenne de la recherche, de l’enseignement et de la pratique de l’hypnose.
- Et enfin être utile à la collectivité dans une perspective de santé publique. Tous les professionnels qui ont fait l’expérience de l’utilisation de l’hypnose se sont rapidement rendu compte qu’elle permet une démarche où tous les utilisateurs sont gagnants, pour employer une terminologie moderne. Le patient est gagnant, car plus apaisé, moins soumis aux effets secondaires des médications, sortant plus rapidement d’une hospitalisation ; le personnel soignant est aussi gagnant, car lui aussi est plus serein, les prises en charge de soins parfois douloureux, difficiles, se font dans des conditions plus paisibles et de ce fait engendrent moins de stress ; enfin le système est gagnant en dépensant moins pour des soins de meilleure qualité. Ce triplé gagnant par l’utilisation d’une hypnose raisonnée et éthique est possible et peut être mis en place relativement facilement. Nous sommes prêts à la CFHTB à apporter notre contribution auprès des pouvoirs publics dans ce domaine.
- Merci de ces explications. Après ces importantes précisions, quel devenir formulez-vous pour ce Livre blanc ?
- Vous avez raison, la finalité n’est pas la publication en soi du Livre blanc, mais de ce que nous en ferons et cela n’est pas de la seule responsabilité du président de la CFHTB ou du bureau, mais de tous les acteurs de l’hypnose qui ont à coeur que l’approche scientifique, éthique et humaniste qui est la nôtre soit portée au plus haut niveau. Dès aujourd’hui, j’invite tous ceux qui sont soucieux de la santé publique de nos concitoyens, et que le devenir de l’hypnose tient à coeur, à nous rejoindre et à remettre ce Livre blanc aux différents décideurs, aux médias, sans oublier ceux qui finalement sont les premiers intéressés, les patients et leurs associations. Je vous remercie Docteur Fitoussi. Aimeriez-vous ajouter un dernier mot ? J’aimerais rappeler ce propos de Jean Bernard, grand médecin et grand humaniste : « Ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique et ce qui n’est que scientifique n’est pas éthique. » Merci à vous !
GÉRARD FITOUSSI Président de l’European Society of Hypnosis. Président de la Confédération francophone d’Hypnose et de Thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’Hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau.
Pour lire la suite de la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°58
Dossier : crise et après-crise
Le dossier de ce n°58 est consacré aux conséquences de la crise sanitaire sur les patients et aux pratiques thérapeutiques qui en découlent.
- Edito : Sophie Cohen
- On ne saurait se passer des étoiles. Marc-Alain Ouaknin, philosophe
- Leçon d’un confinement. David Le Breton, sociologue
- L’angoisse de mort. Véronique Cohier-Rahban, psychothérapeute
Espace Douleur Douceur
Modifier nos pratiques thérapeutiques ? Henri Bensoussan, médecin hypnothérapeute
Une bulle d’oxygène. Au centre hospitalier de Bligny. Agathe Delignières, psychologue
L’expérience sécure. Développement du « lieu sûr ». Arnaud Zeman, Hypnothérapeute
Dossier « Crise et après crise »
Edito : Sophie Cohen
La tulipe et le saule pleureur. Un conte de Jean-Marc Benhaiem, médecin hypnothérapeute
17 jours dans les griffes du Covid-19. Un témoignage d’Olivier Debas, médecin urgentiste, touché par la maladie.
Ecrire pour sortir du problème. Vania Torres-Lacaze, Guillaume Delannoy, Annick Toussaint responsables de l’IGB
Confinement : corps, émotions et représentations psychiques. Bruno Dubos
Quiproquo, malentendu et incommunicabilité : « période bousculée ». Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed (alias Muhuc)
Les champs du possible : Connaître de l’Autre, Soi-même. Adrian Chaboche, spécialiste en médecine générale et globale
Culture monde : Chamanisme chez les indiens Shipibos-Conibos. Jean-Marc Boyer, psychopraticien
Les grands entretiens. Réglementer la pratique de l’hypnose. Entretien avec Gérard Fitoussi, président de la CFHTB
Livres en bouche
Ouvrages de David Le Breton
- Thérapies et Médecines Complémentaires
- Revue Hypnose et Thérapies Brèves
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