Les grands entretiens: Eric BONVIN interviewé par Gérard FITOUSSI
Eric Bonvin est à la fois : médecin, chercheur, enseignant. Un des acteurs majeurs de l’hypnose en Suisse et en France.
Bonjour Professeur Bonvin ! Qu’attendez-vous du prochain congrès de l’ESH à Bâle ? Eric Bonvin : Qu’il soit à l’image du pont qui figure sur l’affiche qui en fait la promotion. Ce « pont du milieu » (1) fut bâti durant plusieurs siècles pour rapprocher deux cités rivales, qui ne font qu’une aujourd’hui : la ville de Bâle. Puissions-nous en faire autant entre les différentes professions, les différents courants, les différentes méthodes qui se réfèrent à l’hypnose, et nous unir sous la même bannière de la relation humaine qui soigne et soulage, tout simplement en reliant. Qu’il soit donc le congrès de la maturité, de l’ouverture et de la liberté !
Quelle est aujourd’hui la place de l’hypnose en Suisse ?
Comme de nombreux autres pays, la Suisse connaît un nouvel engouement pour l’hypnose, dans les grands hôpitaux et les institutions socio-sanitaires. Cela est réjouissant. Il ne faut cependant pas se méprendre sur cet engouement. Il résulte, à mon sens, du souhait de redonner une place à la relation humaine au coeur d’une médecine réifiante, qui a cédé au chant des sirènes de la productivité économique et réduit pour cela ses acteurs à l’état d’objets. Il faut dès lors veiller à faire de l’hypnose un digne prétexte à soigner par la relation humaine, tout en se gardant d’en faire une prestation à haute rentabilité supplémentaire dans le marché de la médecine.
Quelle formation préconisezvous pour les acteurs du soin ?
Nous constatons un magnifique développement de cette pratique dans les institutions socio-sanitaires. A la demande des patients et des professionnels, les trois plus grands établissements hospitaliers suisses dispensent un enseignement de l’hypnose. Dans les établissements que je dirige, nous l’enseignons avec succès depuis de nombreuses années à toutes les professions fondées sur la relation soignantsoigné, de l’ambulancier au chirurgien en passant par les médecins, les psychologues comme les professions soignantes et médico-techniques.
Que pensez-vous de l’EBM appliqué notamment à l’hypnose ?
L’Evidence Based Medicine est une méthode qui évalue la rigueur de l’objectivité des données issues de la littérature scientifique. C’est une excellente méthode pour évaluer l’effet d’un traitement sur l’objet maladie (porté par des cohortes de patients). Elle ne permet cependant pas d’apprécier un tel impact sur un sujet vivant qui est, par définition, de nature subjective. L’hypnose agit sur des patients, c’est-à- dire des personnes qui endurent la souffrance, et non sur des maladies objectives. Dès lors, ce qui m’importe, ce n’est pas tant l’évaluation que porte la science des évidences sur la pratique de l’hypnose, mais celle que portent mes patients sur la réponse à leurs attentes qu’ils obtiennent par la relation que nous établissons.
Sur un point plus personnel, quel a été votre premier contact avec l’hypnose ?
Durant l’adolescence, cela m’avait intéressé et j’ai tenté quelques séances chez un praticien alternatif, sans être pour autant totalement convaincu. Je l’ai ensuite redécouverte en travaillant ma thèse de doctorat qui portait sur la prise en charge psychologique des grands brûlés. Je découvrais alors que l’hypnose pouvait être utile là où nulle autre approche expérientielle semblait pouvoir l’être, notamment la sophrologie que je pratiquais alors. Aussitôt après cette expérience, je l’intégrais dans ma pratique de psychiatrie sociale et de psychothérapie avec des personnes souffrant de troubles chroniques sévères.
Comment l’avez-vous intégrée dans votre pratique ?
Ayant commencé très tôt à intégrer la pratique de l’hypnose, je l’ai forcément fait au cours des années hospitalières, au centre des grands brûlés puis à l’unité de Psychiatrie sociale du Centre hospitalier universitaire vaudois. J’ai donc eu la chance de pouvoir le faire dans le cadre de systèmes soignants complexes, à la fois pluridisciplinaires et impliquant une indispensable prise en compte des perceptions éprouvées par le patient et ses proches (2). Dès ce moment, il m’est apparu que l’effet de l’hypnose dépendait essentiellement de la qualité de la relation thérapeutique et non de la technique ou des compétences propres à une profession. Chaque soignant, pour autant qu’il intègre l’hypnose dans le cadre strict de sa profession, peut faire bénéficier ses patients d’une meilleure qualité de ses gestes thérapeutiques et de la relation qu’il établit. Elle permet à chaque profession d’améliorer sensiblement la qualité de ce qu’elle fait déjà en découvrant les compétences de chaque patient. Car le pouvoir de l’hypnose est toujours le fait du patient hypnotisé et jamais de l’hypnotiseur soignant. Ce dernier définit simplement le cadre dans lequel ce pouvoir peut agir de lui-même. La pratique de l’hypnose m’a donc permis de faire mieux mon travail de médecin psychiatre et psychothérapeute en ayant pleine confiance dans les compétences de mes patients.
Quelles en ont été les premières indications ?
Les personnes confrontées à des brûlures graves passent non seulement par les affres de la douleur mais éprouvent de nombreux troubles de la perception dont des troubles psychotiques aigus. C’est donc avec ces personnes que j’ai été initié à l’hypnose puis, dans la psychiatrie sociale, avec celles qui éprouvent des troubles de la perception chronique (psychoses, troubles cognitifs, de l’humeur ou de la personnalité). J’ai alors très vite constaté que la contre-indication traditionnellement formulée quant à l’usage de l’hypnose lors de troubles psychotiques ne concerne pas la technique elle-même mais les compétences dans ce domaine clinique du soignant qui en fait usage. En d’autres termes, si je ne vois aucune contre-indication à faire usage de l’hypnose avec des patients souffrant de psychose aiguë ou chronique, j’en vois indubitablement une si je compte en faire usage pour effectuer des soins dentaires pour lesquels je n’ai aucune compétence. Et vice versa, cela vaut évidemment aussi pour un dentiste ou une assistante dentaire qui voudrait en faire usage pour soigner une personne de sa psychose. Par ailleurs, la seule contre-indication est celle du manque de compétence clinique de l’hypnotiseur à traiter une situation donnée, indépendamment de ses aptitudes à la pratique de l’hypnose. Nous restons ainsi dans le cadre que nous prescrivait déjà Hippocrate, en respectant les limites de nos compétences et en ne nuisant pas au patient.
Vous avez écrit un ouvrage avec Gérard Salem*, pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce praticien hors pair ?
Avec nos années d’enseignement en commun nous avons constaté que le moment clé dans l’apprentissage de l’art hypnotique est celui où l’apprenant ose se jeter à l’eau et hypnotiser, non pas en conformité avec les livres ou les confrères, mais uniquement avec ses propres ressources en alliance et en confiance avec le patient. Gérard Salem avait un talent extraordinaire pour inciter l’autre à se jeter à l’eau et à nager par lui-même, avec son propre style et sachant trouver la complicité avec l’hypnotisé. Je pense qu’une génération entière de praticiens a bénéficié de son talent. C’est certainement ce talent qui a aussi permis de former des praticiens de tant de professions soignantes et sociales différentes à se lancer adéquatement dans la pratique de l’hypnose tout en respectant les limites de leurs compétences. C’est dans cet esprit que nous nous sommes engagés dans un enseignement pluriel de l’hypnose thérapeutique tel que nous l’avons instauré et que je perpétue au sein de l’établissement hospitalier que je dirige.
Un dernier mot pour inciter nos lecteurs à venir à Bâle ?
La ville de Bâle a, durant la Renaissance, abrité, loué puis répudié et finalement, en 1990, réhabilité le médecin Paracelse qui pratiquait déjà le soin par l’imagination et la relation (magnétique). C’est l’histoire d’un extraordinaire médecin, pionnier et en avance sur son temps, mais aussi l’histoire d’une ville qui a su changer sa manière de voir les choses. Et à n’en pas douter, ce congrès sera imprégné de cette culture bâloise qui a su construire des ponts entre les cultures, les croyances, les époques et les humains.
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Dr Gérard FITOUSSI Président de l’European Society of Hypnosis. Secrétaire général de la Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves (CFHTB). Président de l’Association française d’hypnose (AFHyp). Membre du comité de rédaction de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Fontainebleau.
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ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
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- Les suggestions post-hypnotiques M. GALY
- Thérapies systémiques brèves et addictions. O. COTTENCIN
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