Hypnose physiologique et hypnose pathologique

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PORTE OUVERTE ENTRE CONSCIENT ET INCONSCIENT

Prenez un demi-grain de conscient et un autre, plus grand, d’inconscient. Entre les deux, une porte où circulent un flux d’informations, de données... et à l’inverse les idées, l’intuition, l’inspiration... La porte se grippe quand surgissent la peur, l’angoisse, la phobie et autres troubles. Passage en revue de la psychopathologie à la lumière de l’hypnose.



PREMIÈRE PARTIE : LA FONCTION PHYSIOLOGIQUE HYPNOTIQUE A. DIMENSION INTRAPERSONNELLE

1. Physiologie Erickson dit que nous avons un esprit composé de deux parties, l’une consciente et l’autre inconsciente. Imaginons-nous comme un grain de café composé de deux demi-grains de taille inégale, collés l’un à l’autre et qui communiquent ensemble au moyen d’une grande porte située à leur jonction. Le plus petit de ces demi-grains est la partie consciente, le plus gros la partie inconsciente. Le plus petit, l’esprit conscient, traite l’information qui lui arrive de façon logique, digitale. Régi par le principe de non-contradiction, il analyse les données les unes après les autres, mais ne peut pas en traiter plusieurs à la fois. Il travaille finement, mais s’épuise vite à la tâche, si bien que nous ne pouvons réfléchir que quelques heures par jour. Après, nous sommes « saturés » ; plus rien ne « rentre ». Nous en avons tous eu l’expérience lors de nos révisions d’examens universitaires. Le moment est venu de dormir, de nous distraire, bref d’oublier. Oublier, c’est envoyer, par la grande porte signalée, le matériel conscient à l’inconscient pour qu’il s’en occupe à sa manière. Oublier, c’est faire travailler la mémoire inconsciente. Ainsi, après une nuit de sommeil, au matin, tout ce que nous avions révisé la veille se trouve frais et disponible à la demande. Le plus gros demi-grain, l’esprit inconscient travaille au contraire en permanence, gère des milliers d’informations simultanément, assurant les régulations biologiques du corps et le fonctionnement de la mémoire. Il traite les communications qui lui arrivent de l’esprit conscient de façon analogique, allant chercher les expériences du passé que les nouvelles venues lui évoquent. Dans un premier temps, il n’a pas de souci logique et les contraires peuvent coexister. Dans un deuxième, il se livre à un travail d’analyse et de synthèse, recombinant passé et nouveau jusqu’à arriver à un produit fini qu’il envoie à l’esprit conscient par la grande porte signalée.


Comme un cadeau, l’esprit conscient reçoit ainsi une idée, un sentiment ou un comportement inédit. Ainsi se produisent l’intuition, l’inspiration artistique ou autre, la découverte scientifique et le changement. Nous disons : « une idée m’est venue », preuve que nous l’avons reçue ; nous ne fabriquons pas nos idées con - sciemment. Archimède crie « Eurêka ! » ; l’écrivain « tient » enfin son oeuvre après des mois de stérilité ; sans effort, le fumeur devient indifférent au tabac ; sans se l’expliquer, Aglaé tombe amoureuse ou ne l’est plus ; l’homme qui butait sur un problème ne le trouve plus ; en mars 1918, en se levant après dix heures de sommeil, le maréchal Foch ordonne soudain la manoeuvre qui foudroie l’ennemi. Cette double circulation entre conscient et inconscient constitue la fonction physiologique hypnotique dans sa dimension intrapersonnelle.

 2. Pathologie et traitement

Mais cette circulation est souvent altérée et la pathologie commence alors. L’esprit conscient se sent limité, précaire : il sait qu’il ne peut pas travailler indéfiniment, il anticipe avec effroi le moment où il devra s’arrêter et oublier. Oublier lui fait peur : il a l’impression que ce qu’il oublie part dans le néant, qu’il ne le retrouvera jamais, que c’est perdu. Il a le plus grand mal à croire qu’oublier fait travailler sa mémoire. S’il cède à sa peur, il mènera des efforts de plus en plus pénibles pour ne pas oublier : « Il faut absolument que je m’en souvienne ! » Ainsi commence le souci ruminé en boucle. Ainsi commence l’angoisse, qui est, au sens propre, la peur d’oublier et conduit au rabâchage. Connaissez-vous un phobique qui veuille oublier sa phobie, un obsessionnel ses obsessions ? Notons que l’angoisse est toujours consciente. Par définition, il n’y pas d’angoisse inconsciente : ce terme est une mauvaise excuse du conscient qui se défausse ainsi sur son voisin l’inconscient de la peine que lui procurent ses efforts idiots ; c’est commode car l’inconscient, on ne le voit pas ; comme disent les enfants pris en faute : « C’est pas moi, c’est l’autre ! ». Ainsi commencent donc le souci, l’angoisse mais aussi le ressentiment. Combien de fois avons-nous dit après avoir subi un tort : « Ça, je ne l’oublierai jamais ! » Heureusement, la plupart du temps nous finissons par l’oublier ; sinon, nous nous mettons à tourner en boucle et l’agresseur occupe toutes nos pensées. On guérit du ressentiment par la vengeance ou le pardon. La vengeance consciente est vouée à l’échec, toujours insuffisante ou excessive, perpétuant le trouble intérieur. Pour être réussie, la vengeance doit être inconsciente : on oublie le tort pour le confier à l’esprit inconscient. Alors, au moment fixé par celui-ci, surgira une vengeance efficace, respectueuse, calme et apaisante.

L’autre voie est le pardon. Adolf m’a fait un tort. Il m’a pris quelque chose qui m’appartenait (argent, réputation, carrière, honneur). Il est devenu mon débiteur et moi son créancier. Il doit me rendre ce qu’il m’a volé. S’il le fait, c’est la justice et la paix revient. Mais la plupart du temps, il ne me le rendra jamais. Si j’entre alors dans le ressentiment, je le rends maître de mon intérieur ; moi, son créancier, je deviens son esclave. Constatant que jamais je ne récupèrerai ma créance et que pour autant je n’ai aucune raison de rester son esclave, alors, ce débiteur insolvable, je peux décider de lui remettre sa dette. C’est le pardon. Le pardon libère parce qu’il brise la lourde chaîne de l’esclave du ressentiment. Et la paix revient. Souci, angoisse, ressentiment, que d’efforts toxiques pour ne pas oublier ! Et avec le temps et ces tentatives répétées pour la bloquer, la grande porte sur l’inconscient souffre, elle s’ouvre de moins en moins bien, ses gonds grincent de plus en plus.

Allons maintenant jeter un coup d’oeil du côté de l’esprit inconscient. Quand il part communiquer le produit de son travail au conscient, il peut trouver la grande porte close, fermée de l’autre côté par celui-ci, et il ne peut plus lui communiquer aucune inspiration ni intuition. Voilà l’autre versant de la névrose. Que s’est-il passé ? Le conscient a peur parce qu’il se sent précaire. Le connu le rassure, l’inconnu l’inquiète. Ses petites habitudes, même dangereuses, même catastrophiques, lui sont familières et sont des repères. Il préfère que rien ne bouge au risque fantasmé de se voir bouleversé par du nouveau, même si celui-ci pourrait se révéler sympathique et prometteur. Erickson disait : « Nous apprenons à nous limiter. » Le conscient se limite, se rigidifie. Ne voulant ni oublier ni recevoir du neuf, il s’appauvrit. Il n’a plus désormais que des préjugés. Il est stéréotypé. On dit de lui qu’il est « bouché » et « il n’y a pas d’âge pour ça », comme le chantait Georges Brassens.

A force d’être de moins en moins ouverte, la grande porte sur le conscient s’ouvre de plus en plus difficilement, les gonds font un bruit effroyable. Comment délivrer la personne de ces deux peurs névrotiques, peur de l’oubli et peur du nouveau ? En dégrippant la grande porte pour qu’elle se rouvre à nouveau facilement dans les deux sens. La rééducation de la fonction hypnotique sera son dégrippant, son « WD-40 ». En entraînant le sujet à la transe de plus en plus profonde et à la production de plus en plus facile des phénomènes hypnotiques, surtout de l’amnésie et des actes post-hypnotiques, celui-ci aimera de plus en plus oublier pour avoir de plus en plus de nouvelles inspirations. C’est une kinésithérapie mentale, suivant l’expression d’Erickson, qui le rend à nouveau souple et créatif. Voilà pourquoi les séances d’hypnose sont intrinsèquement thérapeutiques, en dehors même de toute suggestion spécifique au problème ayant motivé la consultation.

 B. DIMENSION INTERPERSONNELLE

1. Physiologie

La fonction physiologique hypnotique régit les rapports intrapersonnels mais aussi les échanges interpersonnels.

Sabine, déprimée, enfermée dans sa souffrance, est convaincue que personne ne peut la comprendre. Je dois briser cette conviction pour obtenir un échange fécond. Pour réaliser cette coopération, l’outil royal est la ratification. Je ratifie sa souffrance à Sabine jusqu’à ce qu’une lumière se fasse dans ses yeux qui dit : « Ce gars-là m’a comprise. Enfin, je ne suis plus seule. Lui au moins, il va m’aider vraiment ! » L’espoir revient et elle se met à m’écouter. M’écoutant, elle s’oublie elle-même, oublie ses pensées et ses affects dépressifs ; ce faisant, elle oublie de barricader la grande porte conscient/inconscient qui s’ouvre enfin et peut laisser passer à nouveau des inspirations en elle.

De mon côté, quand je procède à la ratification, je suis entièrement concentré sur Sabine. Je m’oublie complètement, j’oublie mes soucis, mes pensées, mes affects. Seule compte Sabine. Dès lors, j’oublie de barricader ma propre porte conscient/inconscient, laquelle s’ouvre largement et laisse passer des inspirations utiles à la situation. Cela signifie que quand Sabine reçoit quelque chose de son inconscient et me le communique, cela passe directement dans mon inconscient à travers mon con - scient, y favorisant de nouvelles inspirations en retour. Et réciproquement, ce que je dis à Sabine va directement dans son inconscient à travers son conscient pour y favoriser de nouvelles inspirations en retour. Voilà ce qu’Erickson appelait la « communication d’inconscient à inconscient » et voilà pourquoi j’appelle la thérapie un « échange inspiré ». C’est une boucle qui commence par l’amnésie de soi et l’intérêt pour autrui.

 2. Pathologie et traitement

La pathologie de la dimension interpersonnelle de la fonction physiologique hypnotique commence avec une plus grande préoccupation de soi et un moindre intérêt pour autrui. Plus celui-ci diminue, plus celle-là augmente, plus les effets sociaux sont dévastateurs, provoquant conflits et guerres entre individus, dans les couples, les familles, les nations et entre les nations. La solution ressortit à la morale : un plus grand intérêt pour autrui, un plus grand oubli de soi.

 DEUXIÈME PARTIE : PSYCHIATRIE ET HYPNOSE

A présent, dans un survol rapide, je voudrais tenter de revoir quelques tableaux de la pathologie psychiatrique à la lumière de la transe hypnotique. Le processus neurologique produit par la focalisation de l’attention et l’absorption interne qui permet la transe et ses phénomènes peut être utilisé de façon pathologique, ou bien être altéré.

1. L’hystérie


L’hystérie repose sur une croyance erronée, celle d’avoir un Moi inconsistant, et au maximum d’être vide. Rien n’est pire que l’indifférence des autres qui renvoie l’hystérique à son sentiment-croyance d’inconsistance et de vide, et alors il déprime sévèrement. Pour se sentir exister, l’hystérique a besoin de stimuler l’intérêt d’autrui et de le piéger dans des énigmes afin d’entretenir cet intérêt coûte que coûte. Il choisit ses victimes dans des figures trop sûres d’elles-mêmes, particulièrement les médecins.

A ceux-là, il oppose des problèmes qui les mettent en échec dans leur champ de com - pétence. Dans les dépressions et les douleurs chroniques résistantes, on retrouve ainsi bien des hystériques. L’hystérique peut aussi leur opposer des paralysies, des surdités, des cécités, des amnésies bizarres. Le clinicien, embarrassé, constate que ces symptômes ne sont pas simulés mais leur étude le laisse perplexe. Par exemple, la paralysie ne suit pas les lois de la systématisation neurologique mais seulement l’imagination populaire de ce qu’est une paralysie. En fait, l’hystérique a produit un phénomène hypnotique normal, et il s’en sert comme d’une énigme pour tendre son piège relationnel au clinicien trop sûr de lui. L’hystérique utilise pathologiquement les phénomènes physiologiques de l’hypnose.

Le but stratégique du traitement de l’hystérie est de modifier la croyance que le sujet a de lui-même. Il doit expérimenter qu’il peut se passer de ses énigmes, et que, privé d’elles, il n’en meurt pas et il commence ainsi à éprouver la consistance de son Moi. Le meilleur outil est la « position basse » du thérapeute….

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Dr Dominique MEGGLEDOMINIQUE MEGGLÉ

 
Ancien psychiatre des Hôpitaux des Armées, en pratique libérale depuis 1997. Cofondateur de la CFHTB, président de l’Institut Erickson Méditerranée et président d’honneur de l’Institut Erickson de Normandie. Conférencier et formateur, il est l’auteur de plusieurs livres, dont : Erickson, hypnose et psychothérapie (Retz, 2005), Les Thérapies brèves (Satas, 2011), Douze conférences (Satas, 2011). Dernier ouvrage paru : Le traumatisme mental, signes, diagnostic, traitement, Satas, Bruxelles, 2021.

 

 

 

 

 

 

Revue Hypnose et Thérapies Brèves 67

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N°67 : Novembre / Décembre 2022 / Janvier 2023

Dans un très beau texte, drôle et subtil, Virginie Lagrée rend hommage à la créativité et à l’éthique des familles d’accueil thérapeutique adultes. Elle nous montre, à partir de nombreux exemples, toutes les stratégies développées par ces familles, en lien avec une fine observation des relations tissées au fil de la vie quotidienne. Connaissant bien la pratique de l’accueil familial, devant la qualité de la prise en charge de tous ces patients, pour la plupart psychotiques, on peut s’étonner du peu de services de cette nature dans la psychiatrie publique. Un joli moment d’émotion et de réflexion sur la capacité de chacun à faire confiance à son inconscient.

Julien Betbèze : Edito : Didier Michaux, chercheur et passeur de l’hypnose

Quel plaisir d’accueillir dans ce n°67 la réflexion de Dominique Megglé sur la manière de comprendre la psychopathologie à partir de l’hypnose. Il décrit dans les peurs névrotiques le rôle majeur de la peur de l’oubli, de la peur de la nouveauté, et le rôle de l’hypnose profonde pour les traverser. Il souligne l’importance de la ratification et de la qualité relationnelle et développe une hypnopathologie passionnante sur la compréhension de ces différents troubles psychiatriques.

Michel Ruel nous fait part de son expérience sur le travail avec les endeuillés. Il souligne l’inventivité des hypnothérapeutes français pour retrouver un lien avec les personnes disparues, lien indispensable pour faire un travail de deuil et favoriser un nouveau départ.

Bogdan Pavlovici nous fait découvrir une approche novatrice en pédopsychiatrie pour rentrer en contact et faire lien avec tous ces enfants réticents qui peinent à s’investir dans une dynamique de soins. A travers l’histoire de Nicolas, 9 ans, il décrit le rôle de la transe hypnotique dans l’écriture des lettres envoyées par le thérapeute, et leur effet thérapeutique en retour chez l’enfant et sa famille.

En couverture : Lisa Bellavoine : Créer le regard

Espace Douleur douceur
. Gérard Ostermann : Edito : Les arbres de l’infinie douleur
. Dans « Douleur d’amputation », Véronique Betbèze détaille les deux séances d’hypnose qui lui ont permis de remettre en mouvement un patient amputé.
. Magali Farrugia nous explique comment l’hypnose peut compléter l’accompagnement d’une patiente en soins palliatifs et détaille les séances avec une patiente atteinte d’un cancer de l’estomac. Un chemin vers les étoiles.
. David Ogez et Maryse Aubin nous invitent à pratiquer l’autohypnose. A travers le récit de Maryse, patiente en clinique de gestion de la douleur au Québec, nous apprenons comment un programme d’entraînement à l’autohypnose qui vise à réduire les douleurs chroniques des patients et réduire la prise en charge de médication opioïde est mis en place.
. Un hommage à Didier Michaud, chercheur et passeur de l’hypnose qui vient de nous quitter. Isabelle Ignace, Yves Halfon, Jean-Marc Benhaiem, Brigitte Lutz, François Thioly, Gaston Brosseau, Sophie Cohen.

Rubriques :
. Quiproquo : Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed : Le deuil

Culture du monde :
. Nicolas D’Inca : Se libérer du paradoxe – Du zen à l’école de Palo Alto
. Bonjour et après : Sophie Cohen : Le poids du couple… gagner en légèreté

Les grands entretiens : Rubin Battino interviewé par Gérard Fitoussi